A Cinquera, l'un des villages les plus meurtris par la guerre civile au Salvador (1980-1992), d'anciens guérilleros se sont convertis au tourisme révolutionnaire en exhibant des vestiges du conflit pour gagner leur vie. Dans le parc central de ce village de 1800 habitants, situé à 70 km au nord-est de la capitale San Salvador, au bout d'une route en terre épousant les contours de collines verdoyantes, les visiteurs tombent nez-à-nez sur les reliques de cette guerre qui a fait 75 000 morts et 7000 disparus. La queue d'un hélicoptère de l'armée de l'air salvadorienne abattu par la guérilla en 1991 a ainsi été érigée en monument, protégé par un cercle de fusils automatiques M-16 et AK-47 inutilisables.

Les habitants ont aussi conservé le fronton criblé de balles de l'église catholique de la ville, détruite par l'armée durant le conflit et reconstruite par la suite. En guise de cloches, ils utilisent les carcasses en fer de quatre grosses bombes désamorcées. Les murs des maisons arborent également des peintures rendant hommage aux victimes du conflit. «Tous ces vestiges de la guerre nous servent à montrer aux gens ce que nous avons enduré, nous avons dû fuir car nous étions constamment bombardés. Aujourd'hui, beaucoup de touristes viennent pour connaître l'histoire du lieu et nous leur racontons, ils visitent notre parc révolutionnaire-écologique, car nous protégeons la forêt», explique Pablo Alvarenga.

Devenu historien du village, cet homme de 72 ans a perdu sept frères ou enfants durant la guerre, mais a continué à apporter un soutien logistique à la guérilla d'extrême gauche du Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN), finalement vaincue en 1992 avec l'appui des Etats-Unis. Le FMLN, reconverti en parti politique, est arrivé au pouvoir par les urnes en mars 2009 en soutenant l'ancien journaliste, Mauricio Funes, élu premier président de gauche du Salvador depuis la fin de la guerre civile.

Tout près du village se trouve la forêt Cinquera, entretenue depuis 2001 par une association d'anciens combattants de la guérilla. «Pendant la guerre, la forêt nous a sauvé la vie, nous y avons trouvé refuge et aujourd'hui nous la remercions en en prenant soin, pour que nos visiteurs respirent un air pur», raconte l'un des guides du parc, Francisco Rafael Hernandez, 48 ans. Les récits du conflit de cet ancien guérillero souriant à la moustache fournie ont beaucoup de succès auprès des touristes qui parcourent avec lui le sentier de deux kilomètres aménagé dans ce parc de 5.000 hectares. «Les gens me disent d'écrire un livre pour raconter mes anecdotes, mais cela prend du temps», dit-il, en montrant une tranchée et une cuisine de style «vietnamien» utilisée par les guérilleros durant la guerre civile.

Environ 10 000 touristes salvadoriens et étrangers visitent chaque année ce parc, moyennant un droit d'entrée de 25 cents ou 3 dollars (0,2 ou 2,3 euros) destiné à payer la vingtaine d'employés et à financer des projets locaux. D'anciennes guérilleras ont ainsi monté depuis quelques mois une petite usine de fabrication de fruits secs avec l'aide de la coopération espagnole.