Des eaux qui se déclinent dans un camaïeu de bleus, des îles verdoyantes au relief accidenté. Et encore très peu de touristes pour profiter des beautés d'un archipel qui a su garder sa personnalité. Bienvenue à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, l'un des secrets les mieux gardés des Antilles.

LES CARAÏBES À L'ÉTAT BRUT

Oubliez les vastes complexes hôteliers qui masquent les cocotiers, les boutiques de luxe et les plages bordées de grandes promenades asphaltées. À Saint-Vincent-et-les-Grenadines, le tourisme sait encore se faire discret, au grand plaisir des voyageurs venus chercher ici ce que les autres îles des Caraïbes ont parfois perdu: l'authenticité.

Authenticité... On le sait, ce mot est souvent galvaudé. Mais aucun autre ne décrirait mieux l'ambiance qui règne dans cet archipel des Antilles du Sud.

Sur les plages - d'un noir volcanique ou d'un blond presque blanc -, les voyageurs se mêlent aux habitants, les «Vincy» comme ils se surnomment eux-mêmes, pour profiter des eaux cristallines. Les rues sont bordées de petits commerces colorés, stands à fruits ou simples bouis-bouis qui servent poulet frit, riz aux fèves noires ou porc barbecue. McDonald's n'a pas planté ici d'arches dorées (par contre, Subway et PFK ont pignon sur rue à Kingstown, la capitale). Dans les restos, on boit la bière et le rhum locaux. À Saint-Vincent, l'île la plus grande du pays, les rues étroites et sinueuses sont partagées dans un joli chaos par des véhicules bondés à la musique tonitruante, des chiens errants, des chèvres égarées et des enfants insouciants...

Bref, Saint-Vincent-et-les-Grenadines a gardé sa personnalité. C'est peut-être d'ailleurs ce côté brut et pas du tout formaté qui a attiré les gens de Disney, qui ont tourné ici plusieurs scènes des films de la série Pirates des Caraïbes.

Tourisme en expansion

Il faut dire qu'à Saint-Vincent, l'île la plus peuplée du pays, toute la vie économique a longtemps tourné autour de l'agriculture en général et de la culture de la banane en particulier. Le tourisme? Bof! Il y avait bien quelques visiteurs dans les Grenadines, comme à Mustique, le paradis où vont depuis longtemps se reposer les membres de la royauté, qu'elle soit de Buckingham Palace ou d'Hollywood. Mais rien n'était fait pour attirer davantage de touristes et le pays laissait aux voisines les plus proches - la Grenade, Sainte-Lucie, la Barbade - les «touristico dollars».

Pourtant, le pays avait plusieurs atouts pour séduire: un volcan actif (la Soufrière) accessible en randonnée, plusieurs chutes où se baigner au coeur de la forêt, des plages superbes (surtout dans les Grenadines), des dizaines de lieux de plongée sous-marine, des anses tranquilles où ancrer un voilier...

«En 1999, on a dû changer notre mentalité. Nos exportations de bananes ont décliné. C'était notre or vert, mais ça ne pouvait plus être notre seule source de revenus. Le gouvernement a compris qu'il devait prendre soin du tourisme», explique Marlon Joseph, guide.

Un port de croisières a été construit en 2000 à Saint-Vincent. Mais l'accessibilité restait compliquée. Il fallait passer par la Barbade ou Porto Rico pour atteindre l'archipel par voie aérienne, ce qui décourageait plusieurs vacanciers.

Après sept ans de travaux, un aéroport digne de ce nom, prêt à accueillir 1,2 million de passagers par année, a finalement été inauguré en février 2016 à Saint-Vincent. Des liaisons directes vers l'aéroport international d'Argyle sont désormais offertes depuis l'Amérique du Nord. Air Canada est d'ailleurs la première compagnie aérienne à offrir un vol hebdomadaire sans escale, à l'année, vers Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Les départs se font depuis Toronto et un deuxième vol viendra s'ajouter entre le 16 décembre et le 28 avril. L'île principale est aussi accessible par vol direct de New York et, bientôt, Miami. Pour rejoindre les Grenadines, dont seulement 8 îles sur 32 sont habitées, il faut ensuite, de Saint-Vincent, prendre un vol intérieur, monter à bord d'un traversier (qui sert aussi de cargo de marchandises), voire noliser un voilier...

Défi

Cette accessibilité nouvelle fait craindre à certains un déferlement touristique qui métamorphoserait à coup sûr le pays. Ici, la population locale (110 000 âmes environ) ne s'est jamais sentie envahie. Les échanges avec les Vincentais sont francs, le plaisir de discuter est partagé et l'accueil est chaleureux sans jamais être servile. Mais les infrastructures ne sont pas adaptées pour recevoir les touristes par dizaines de milliers et, de toute façon, il n'y a pas assez d'hôtels pour les loger.

Le directeur général de l'Office de tourisme de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Glen Beache, est conscient du défi auquel le pays fait face. Comment attirer plus de visiteurs sans vendre son âme au diable de la construction effrénée?

«Nous arrivons sur le marché touristique bien après les autres îles des Antilles. Nous sommes en retard sur certains aspects, mais nous pouvons surtout apprendre d'elles pour ne pas commettre les mêmes erreurs. Nous allons par exemple garder le contrôle sur notre parc hôtelier. Le pays compte actuellement 2200 chambres. Si on atteint le nombre de 3500 ou 4000, nous serons contents. Et ce sera des petits hôtels, à dimension humaine, pas de grands complexes de plusieurs étages. Nous avons beaucoup à offrir; seules la Jamaïque et les Bahamas peuvent rivaliser avec nous en matière de diversité, selon moi.»

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Les frais de ce voyage ont été payés par l'Office de tourisme de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, qui n'a exercé aucun droit de regard sur le contenu du reportage.

PHOTO STEPHANIE MORIN, LA PRESSE

L'île de Saint-Vincent

REPÈRES

Petit guide pratique pour planifier un séjour à Saint-Vincent-et-les-Grenadines.

Où dormir?

Le choix est encore limité, mais il devrait augmenter avec les années. L'île ne compte qu'un seul hôtel tout inclus, dans Palm Island. Un second est attendu dans les prochains mois dans Saint-Vincent.

Quoi manger?

Comme souvent ailleurs dans les Caraïbes, la nourriture locale est assez costaude: friture, patates douces, taro, plantain et viandes sur le gril. Un coup de coeur: Ferdie's Footstep à Georgetown, dans l'île de Saint-Vincent. On a mangé là un sublime curry au mouton. Aussi à découvrir: les cornets de glace arrosés de lait évaporé proposés par les vendeurs ambulants.

Quand y aller?

La haute saison, qui correspond aussi à la saison des croisières, s'étend de la mi-novembre à la fin d'avril. Le meilleur moment pour visiter, selon le guide Marlon Joseph: mai. Les hôtels sont moins chers, la météo est belle et les croisiéristes sont repartis chez eux...

Comment payer?

La monnaie locale est le dollar des Caraïbes orientales: 1 $EC équivaut à 0,49 $CAN. Les billets américains sont acceptés partout, mais la monnaie n'est rendue qu'en dollars des Caraïbes orientales. La conversion n'est pas entrée dans les moeurs marchandes, et plusieurs commerçants doivent utiliser une calculette pour donner un prix en dollars américains.

L'héritage britannique

Membre, comme le Canada, du Commonwealth, le pays a gardé du Royaume-Uni la conduite à gauche et les prises électriques anglaises à 220 ou 240 V. Adaptateur obligatoire...

Faut-il craindre les ouragans...

Pas outre mesure. Le pays a été épargné par les ouragans depuis des dizaines d'années. Ceux-ci ne sont souvent qu'au stade de tempêtes tropicales lorsqu'ils frappent l'archipel.

... et les algues?

Ce problème est plus imposant. Sur la côte est des îles (celle qui donne sur l'Atlantique), les amoncellements d'algues sur les plages sont fréquents. Des airs, on voit d'ailleurs de larges bancs rougeâtres qui dérivent en direction de la terre ferme. Les hôtels s'occupent du nettoyage de leur bout de plage, certains avec plus de diligence que d'autres. Sur la côte caribéenne, le problème est inexistant.

Quoi rapporter?

Le pays compte plusieurs artisans qui utilisent des plantes locales pour la confection de leurs produits. C'est le cas des baumes et huiles corporels de Jazzie's, des huiles essentielles du peuple Kalinago ou encore du chocolat fait à partir des fèves de cacao locales. Plusieurs de ces produits sont en vente au marché de Kingstown.

Photo Stéphanie Morin, La Presse

Saint-Vincent-et-les-Grenadines doit composer avec des algues qui viennent ensevelir les plages, comme ici sur la côte Atlantique de l'île de Saint-Vincent.