Pour goûter le meilleur de México, rien ne vaut une visite gourmande de ses étonnants boui-bouis, avec le concours d'une guide qui connaît la mégalopole comme le fond de sa poche. Récit d'une tournée haute en couleur... et en saveurs.

À 9h30, l'estomac vide, Lesley Tellez nous attend à l'angle des rues Rio Lerma et Rio Sena, dans la Colonia Cuauhtémoc. Nous serons quatre affamés curieux à plonger avec elle dans l'imposant ventre de México. Un peu tôt, peut-être, pour commencer à enfiler une douzaine d'échantillons de «bouffe de rue» ? Pas à México, où des milliers de stands offrent des centaines de spécialités à toute heure de la journée.

Il fallait bien une Américaine pour faire découvrir aux touristes (et même à quelques locaux) la meilleure nourriture de rue de la mégalopole. Lesley Tellez, née en Californie d'une mère et d'un père d'origine mexicaine, a déménagé dans le Distrito Federal en janvier 2009. La blogueuse et correspondante culinaire pour plusieurs magazines a fondé la compagnie Eat Mexico il y a deux ans.

Nombreux sont les Mexicains appartenant aux classes supérieures qui ne toucheraient jamais à un ceviche préparé dans la rue. Idem pour les touristes craintifs. Il est vrai que des manquements aux règles fondamentales d'hygiène ont déjà mené quelques mangeurs aventureux droit à l'hôpital, en hurlant «houla! houla!» comme le goûteur de Cléopâtre. Mais les temps ont changé. Puis ce serait dommage de se priver des délices les plus abordables et les plus (a) typiques de México. Grâce à Lesley, qui a maintenant trois années d'expérience derrière la cravate (et aucun parasite!), on peut apprivoiser ce grand banquet éternel.

Eat Mexico offre des visites guidées des meilleurs stands à tacos (Taco Tour), des marchés les plus colorés (Market Tour) et des bars les plus authentiques (pour boire pulque et mezcal, surtout). La visite signature, le Streetfood Tour, se déroule dans la Colonia Cuauhtémoc, quartier du centre-ville à la fois populaire et professionnel où l'on trouve une grande concentration de kiosques. Pour 85$, Lesley, ou un de ses trois guides bien formés, vous trimballera près de quatre heures, nourriture comprise.

C'est parti!

Le kiosque de tamales où commence la tournée est ouvert depuis 8h. À notre arrivée, la cuisinière soulève le couvercle d'une grosse marmite fumante pour révéler des douzaines de petits paquets bien emballés dans des feuilles de maïs. Au petit-déjeuner, on préfère la simple galette vapeur à la costaude guajolota, un sandwich de tamal frit. Notre tamal farci de piments, d'oignons et de fromage est accompagné d'un verre d'atole, une boisson chaude à base de farine de maïs, de lait ou d'eau et de cannelle. La version chocolatée, plus sucrée, s'appelle champurrado.

Le deuxième arrêt est sans doute le plus essentiel et le plus instructif de la tournée. Lesley nous amène à sa tortilleria préférée. Celle qu'elle fréquentait lorsqu'elle habitait le quartier. Forte de son certificat en gastronomie mexicaine, elle enrichit l'expérience gustative de perspectives historique, sociale, économique.

Une tortilla faite à partir de grains de maïs entiers et nixtamalisés (procédé traditionnel qui modifie la nature du grain) n'a rien, mais vraiment rien à voir avec celles faites à base de masa (farine de maïs). Un peu plus épaisses mais plus souples encore que la version commerciale, les vraies de vraies tortillas conservent un peu de moelleux en leur centre. Elles sont si satisfaisantes qu'on peut les manger telles quelles, en collation, avec un peu de sel.

Le symbole culinaire national, hautement subventionné par le gouvernement, s'achète au kilo pour accompagner à peu près tous les repas de la journée. Si les Mexicains payaient 3 pesos (environ 25 cents) le kilo pour leur pain quotidien il y a quelques années à peine, ils doivent aujourd'hui s'attendre à débourser une dizaine de pesos. Lorsqu'on sait que 46% des Mexicains gagnent moins de 180$ par mois...

Le maïs est bien entendu à la base de presque toutes les spécialités au menu du Streetfood Tour: tlacoyos, sopes, quesadillas, tacos de toutes sortes. À l'angle de Rio Lerma et de Rio Sena, deux dames préparent ces galettes farcies en forme de torpille que sont les tlacoyos. Les sopes qu'elles nous servent sont surmontés de haricots, de fromage, de cactus et de coriandre fraîche.

Il faut savoir que dans la capitale, on ne met pas systématiquement de fromage dans les quesadillas, ce que plusieurs considèrent comme une hérésie. Après tout, le nom quesadilla est dérivé du mot «queso» (fromage)! Pour nous faire profiter des dernières semaines de la saison des pluies, Lesley commande les quesadillas de huitlacoche (charbon de maïs), un champignon qui «infecte» le maïs et qui est considéré comme un mets recherché. On aime son goût un peu terreux, marié à la douceur du maïs. Il faut en profiter pour goûter au huitlacoche frais, car chez nous, on doit se contenter de la version en boîte, poisseuse et peu appétissante.

Le taco mexicain est bien entendu un emblème en soi. Il en existe des dizaines de variations. Le choix de Lesley se porte sur le taco de canasta, cuit à la vapeur dans un panier, avec un linge sur le dessus, le fameux taco al pastor, considéré par plusieurs comme LE plat «municipal» de la ville de México, et le taco de carnitas (petites viandes confites).

À México, où aucune partie du cochon ne se perd, les carnitas se déclinent en plusieurs versions. Mieux vaut se familiariser à l'avance avec la manière de les commander. Maciza si l'on veut de la viande maigre, surtida si l'on ose un peu de peau et de gras, cuerito pour la peau seulement et même trompa (museau), tripa (tripes), pulmon (poumons) et matriz (utérus), selon l'offre du jour! Les Mexicains sont des mangeurs aventureux. Vers charnus, chapulines (sauterelles), escamoles (oeufs de fourmis, le «caviar» mexicain) et utérus de vache ne les font pas sourciller!

Entre les tacos et l'excellent burrito aux fleurs de courgettes de Los Burros a todo mecate, Lesley prend soin d'insérer quelques pauses fraîcheur. Sous son parasol rouge, un jeune homme arrose des cubes de papaye, d'ananas et de jicama d'une généreuse giclée de jus de lime et les saupoudre de piment et de sel. Chez Fruturama, on nous concocte un smoothie vert aux feuilles de cactus.

Ouf. N'en jetez plus! Après quatre heures d'exploration culinaire, le groupe se sépare. Mais Lesley a préparé pour l'après-midi une tournée personnalisée nous amenant encore plus profondément dans les entrailles de la grande capitale. Dans le Centro historico, la cuisine de rue porte encore mieux son nom. Ici, des femmes à la peau tannée sont carrément assises sur le trottoir pour préparer leurs spécialités.

Après une petite virée digestive au «chic» Mercado San Juan, le marché des grands chefs appelé «Pugibet» par les locaux, on commande une exquise torta de pato (sandwich au canard) d'un stand qui existe depuis plus de 50 ans. Et c'est reparti pour une autre orgie de tacos, de tostadas de ceviche d'une fraîcheur irréprochable, de quetzalitos (petites tostadas) de poulet en escabèche.

Pulque

Pour conclure la journée en beauté, avec une expérience on ne peut plus électrisante, Lesley a choisi une pulqueria. Par un beau vendredi après-midi, le petit bar aux murs couverts d'images aztèques est bondé. Les étudiants du coin ont investi les lieux de leur énergie débordante. Le jukebox hurle des airs traditionnels que les jeunes borrachos accompagnent de leurs voix désinhibées par l'alcool. C'est grâce à eux si la boisson mésoaméricaine longtemps réservée aux classes sociales les plus démunies fait un retour dans la capitale.

Le pulque est la sève fermentée de l'agave pulquero (cactus aussi appelé maguey). Il est légèrement visqueux et pétillant, avec un degré d'alcool variant de 4 à 8%. On le boit surtout curado, c'est-à-dire mélangé à du jus de céleri, de tamarin ou de fraise. C'est un goût, ou plutôt, une texture qu'il faut apprivoiser, mais dans le contexte festif d'une pulqueria comme Las Duelistas, impossible de ne pas être séduit par ce boire précolombien.

Lorsque la pulqueria nous recrache enfin dans les rues encore ensoleillées de México, la cité semble étonnamment tranquille. Plus étonnant encore: le calme plat de nos intestins durement mis à l'épreuve pendant 10 heures. Un mois plus tard, ils filent toujours le parfait bonheur!