Sur le flanc ouest des Andes équatoriennes, là où l'humidité du Pacifique s'arrête net sur les sommets, la forêt s'habille chaque jour d'épais nuages. Entre les palmiers, les lianes et les orchidées habite une faune ailée exceptionnelle. Visite d'un endroit où tout a été mis en oeuvre pour l'admirer.

De Quito, la capitale équatorienne, il faut compter près de deux heures de voiture, dont un bon tiers sur un chemin de terre assez cahoteux, pour atteindre le lodge de la réserve de Bellavista. Tout au long du chemin, les collines arides des environs de la ville se couvrent peu à peu d'une verdure de plus en plus dense. Et à l'arrivée, c'est une jungle qui entoure le lodge perché à plus de 2000 m.

Du minuscule stationnement, on comprend tout de suite qu'il s'agit d'un endroit unique. Les quelques mangeoires installées sans artifice sur des branches sont prises d'assaut par des hordes de colibris. Le bourdonnement de leurs ailes fait penser à une attaque de bourdons. On ne compte qu'une seule des quelque 340 espèces de colibri du monde au Québec. L'Équateur en abrite pour sa part 132. Dont 21 qui fréquentent assidûment le lodge. «C'est garanti, vous en verrez au moins 10 en une visite», assure la guide Andrea.

«Depuis 20 ans, les oiseaux se sont habitués aux humains, ils n'ont plus peur», raconte le copropriétaire Richard Parsons, un Britannique venu la première fois en Équateur avec son sac à dos en 1982 et qui a adopté le pays.

Après avoir été guide aux Galapagos pendant deux ans, puis avoir accompagné des groupes d'étudiants pour une ONG du Vermont, M. Parsons a décidé de sauver cette forêt humide difficile d'accès dont personne ne voulait vraiment ici. En 1991, il a acheté avec sa femme, Gloria Nicholls, une Colombienne, les 250 premiers hectares de la réserve qui en comptera bientôt près de 900.

«À l'époque, le gouvernement favorisait la déforestation dans le cadre d'un programme de colonisation et de développement de l'agriculture, poursuit M. Parsons. La forêt devait être rasée pour faire place à des pâturages. Heureusement, les choses ont changé depuis.»

Notamment parce que la forêt humide est trop peu fertile pour nourrir des vaches. Et parce que de plus en plus de gens, des touristes étrangers comme des Équatoriens, aiment se retrouver en pleine nature. «Qu'on l'admette ou pas, ce contact est un besoin, dit M. Parsons. Et de plus en plus de citadins le ressentent, même dans ce pays.»

Séjour dans la montagne

Le lodge de Bellavista, ouvert en mai 1995 pour financer l'entretien de la forêt humide et l'achat de nouvelles parcelles, compte aujourd'hui 18 chambres et héberge près de 4000 personnes chaque année. Quelque 8000 autres personnes, dont de nombreux habitants de Quito, viennent aussi passer une journée ici.

Les propriétaires ont tracé une dizaine de kilomètres de sentiers, où les marcheurs peuvent croiser une grande variété d'espèces ailées aux couleurs tropicales, dont des toucans. Certains y ont aussi aperçu l'énigmatique ours des Andes.

L'un de ces sentiers mène à une chute perdue dans la jungle, qu'on atteint après une heure de marche, en partie dans le ruisseau qui reçoit son eau. D'autres offrent des points de vue saisissants sur les montagnes ambiantes. Tôt le matin, quand le ciel est dégagé, on aperçoit même les neiges éternelles du volcan Cayambe (5790 m) et le pic du Pichincha (4680 m).

Mieux vaut d'ailleurs ne pas trop tarder à sortir du lit quand on séjourne à Bellavista et dans la région. La matinée est la période idéale pour observer quantité d'oiseaux issus des 320 espèces répertoriées ici, dont de spectaculaires tangaras à nuque jaune et les multicolores cabézons toucans. En outre, tous les jours vers midi, le ciel se charge d'une épaisse brume. L'air venu du Pacifique a atteint son point de condensation: le mercure baisse dans la petite quinzaine et, en général, la pluie ne tarde pas. Les températures relativement basses n'ont pas que de mauvais côtés, d'ailleurs, car elles «adoucissent» la nature. On trouve ici moins de plantes toxiques et pas de serpents venimeux, comme en zone tropicale, à plus basse altitude. Même les moustiques sont inoffensifs et ne transmettent pas la malaria, assure-t-on.

Et quand la pluie tombe, les visiteurs n'ont qu'à s'installer devant les mangeoires, à l'abri des averses, pour admirer le vol unique des milliers de colibris qui peuplent la forêt dans les nuages. Une expérience absolument envoûtante. Et complètement apaisante.



Richesse accessible

La nature de la forêt humide est d'une richesse exceptionnelle, mais est néanmoins fort accessible. Quand Richard Parsons a ouvert le lodge, il n'avait qu'un compétiteur, se souvient-il. Aujourd'hui, des dizaines d'écolodges ont fait leur apparition, dont certains très luxueux. À Bellavista, le forfait de trois jours et deux nuits, avec transport depuis et vers Quito, tous les repas et trois randonnées guidées par jour, coûte un peu moins de 300 $ par personne en occupation double.

bellavistacloudforest.com



Rare découverte

Les employés du lodge Bellavista ont d'abord surpris un petit animal étrange qui rodait la nuit près des cuisines. Puis, en l'observant de près, ils ont constaté qu'ils avaient affaire au représentant d'une espèce de mammifère jusque-là inconnue, issue de la famille du raton laveur, qu'ils ont baptisé olinguito. Leur trouvaille a été officialisée l'été dernier, faisant de l'olinguito le premier mammifère découvert en Amérique depuis 35 ans. Le personnel n'hésite pas à prévenir les clients quand la mignonne petite bête vient se nourrir le soir. Son regard pénétrant et ses petites mains agiles font tout son charme. Et tous sourient à l'idée de faire partie des très rares humains à l'avoir jamais vu.

Les frais de voyage de ce reportage ont été payés par le ministère du Tourisme de l'Équateur.

Photo fournie par la réserve Bellavista

L'olinguito est le premier mammifère découvert en Amérique depuis 35 ans.