Fermement planté devant un stand du marché de Baños, le chef Rodrigo Pacheco négocie ferme. «Seize dollars, c'est trop cher. Je n'en paierai pas plus de 14.» L'objet de sa convoitise: un cochon d'Inde. Tué, pelé, prêt à faire cuire.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la viande de cochon d'Inde, ou cuy, comme on dit ici, est l'une des plus prisées d'Équateur. Traditionnellement, on sert l'animal entier et grillé. Les gens se séparent ensuite une bête à deux. Ils la mangent de la tête aux pattes. Rien, n'est laissé de côté. Pas même les griffes, qui provoquent parfois des blessures parce que «c'est croquant comme des chips».

Ou encore le cerveau: «On casse le crâne avec les dents pour en aspirer le jus», explique la vendeuse au marché.

Sur un gril devant elle cuisent une vingtaine de cochons d'Inde empilés les uns sur les autres.

«À première vue, c'est un peu rebutant, admet Rodrigo Pacheco, un chapeau à large bord enfoncé sur la tête pour se protéger du soleil. Mais la viande est très maigre et ressemble à celle du lapin.» À30 ans, le chef est déjà une tête d'affiche de la cuisine équatorienne. Il est propriétaire d'un institut de cuisine à Quito et d'un hôtel à Baños, la Casa del Abuelo, où il concocte chaque week-end des plats gastronomiques inspirés de la cuisine locale.

Aujourd'hui, il prépare du cuy. Mais rien à voir avec les rongeurs entiers, embrochés et grillés, qu'on voit dans les marchés du pays. «Ce sera une ballottine », annonce-t-il en dépeçant l'animal avec un long couteau à viande. Sur le comptoir de pierre de la cuisine extérieure attendent des oignons, des cerises, une mandarine, des feuilles d'oranger, un avocat et des pommes de terre qui ont des airs de carottes.

Rodrigo sépare avec difficulté la viande des os. « C'est ça le problème avec le cuy, dit-il, il y a trop de petits os. Comme la caille. » Il hache les morceaux récupérés, ajoute de l'oignon, du jus de mandarine, du sel et du poivre. Puis il emballe le tout dans une pellicule plastique qu'il dépose dans de l'eau bouillante.

Pendant que ça cuit, Bryan, le souschef, à peine âgé de 17 ans et habillé comme un vrai pro, hache la peau de l'animal, qu'il vient de faire griller.

«Ça va faire une croute pour notre viande», explique le patron en sortant laballottine de son emballage de plastique avant de la rouler dans les miettes de peau. Les jeunes enfants de son associé butinent autour de lui, alléchés. «Jedresse et on sert», annonce-t-il.

L'assiette qu'il nous présente est à des lieux de celles que servait la dame qui lui a vendu la bête. Trois rondelles de viande hachée, assaisonnées d'une purée de cerise et sangria et d'une sauce de patate douce. Seuls des triangles de pommes de terre et d'avocat, pointés vers le ciel, nous rappellent les oreilles du petit animal.

On se lance.

Une viande maigre et juteuse. Imprégnée du goût à la fois sucré et acidulé de la mandarine. C'est vraiment bon.