Derrière les plages où se prélassent chaque année des milliers de Québécois existe un pays en pleine effervescence, bruyant, vivant, passionnant qui s'offre volontiers à qui se donne la peine de passer par là.

Le taxi roule depuis bientôt trois quarts d'heure. Il a quitté Playa Pilar, au bout du Cayo Guillermo, réputé pour son sable fin comme du talc. Il a traversé la longue digue que les Cubains ont construite pour relier les stations balnéaires de la région au reste du pays et roulé à travers la campagne, à l'orée de quelques fermes et villages. Sur la route, il a à peine croisé un camion ou deux, franchi un péage aux allures de douanes, et c'est tout.

Mais le voilà qui tourne à droite. « Voici Moron «, dit le chauffeur. Aussitôt, il fait aller son klaxon. Déserte il y a un instant, la route est tout à coup presque bloquée par un essaim de piétons, de cyclistes, de voitures poussives, de camions et de calèches, le tout au beau milieu d'un nuage de poussière. « Vous allez voir, ce n'est pas facile de circuler ici «, ajoute le chauffeur, en se faufilant à toute allure parmi la foule, menaçant de renverser quiconque se trouve sur son chemin, contournant d'un même geste des enfants qui rentrent de l'école, un cheval famélique qui peine à tirer son attelage et une moto sur laquelle sont montés quatre passagers.

Moron est une petite ville de province de 60 000 habitants. La rue Marti qui la traverse par le centre est emblématique de la vie cubaine. Colonnes, arcades, façades colorées, vieux tacots américains qui crachent une fumée noire, nids-de-poule, petites boutiques aux rayons dégarnis et, au milieu d'effluves de pétrole et de savon, des centaines de passants qui déambulent, discutent, rigolent, réparent des montres, vendent quelques babioles, font la queue devant un immeuble du gouvernement. Il y a tellement à voir, on se croirait dans un film au budget de figuration démesuré. Chose certaine, maintenant, on est ailleurs.

C'est ici que s'amorce un séjour express à Cuba, dont l'objectif est de voir combien il est aujourd'hui facile, ou pas, d'aller à la rencontre de l'arrière-pays au gré du hasard et de ses envies.

Trésors particuliers

Près de la gare de Moron, pendant que le soleil descend, des adolescents jouent pieds nus au soccer sur un terrain vague avec un ballon usé à la corde. De l'autre côté, se trouve la casa Belky, une jolie maison rose où l'on peut louer une chambre, très vaste. On y trouve deux lits doubles, une salle de bains privée avec douche. L'hôte prépare aussi de copieux repas sur demande, à base de porc, de crevettes, de riz, etc. Sa soupe de poisson est fameuse.

Ceux qui fréquente Cuba le savent depuis longtemps, on trouve dans toutes les villes du pays de ces casas particulares où poser ses bagages pour quelques nuits ou quelques semaines à des tarifs dérisoires : entre 20 et 30 $ la nuit, encore moins quand on y reste plus longtemps.

Certaines ont des allures de petites auberges, comme l'incroyable Hostal Florida Centro, à Santa Clara. Les deux chambres ressemblent à des salles de musée, avec leurs meubles d'époque, et la cour intérieure a des airs de jungle luxuriante. Son restaurant y sert, pour quelques dollars à peine, des langoustes plus grandes que l'assiette.

D'autres sont beaucoup plus modestes, comme cette charmante petite chambre à l'étage de la maison de Doña Ninin à Holguín.

On a aussi parfois l'impression d'être un invité de la famille, chez Carlos et Yami, à Trinidad, par exemple, où les enfants ne sont jamais bien loin et où la lessive sèche doucement sur les cordes tendues dans l'immense cour ombragée. N'empêche, on respectera partout votre intimité et on vous laissera tranquille, si vous le souhaitez.

Les hôtes vous proposeront presque toujours de cuisiner vos repas (5 $-10 $ pour le dîner et le souper, 3 $-4 $ pour le déjeuner). Ils connaissent souvent un brin d'anglais. Et si vous parlez espagnol, même mal, on discutera volontiers avec vous des choses à voir, des restos où manger, du temps qu'il fait dans le Nord (« Est-ce que c'est l'hiver toute l'année chez vous? «) et, pourquoi pas, des aléas de la vie ici.

Quand vous cognez à la porte d'une casa, soyez certain qu'on ne vous laissera pas en plan si la chambre est déjà prise. Tout le monde connaît un ami en ville qui a une chambre à louer. Même ailleurs au pays. On vous appellera aussi un taxi si vous en avez besoin. Mettre le pied dans une casa particular, c'est accéder à un trésor de ressources qui assureront vos arrières. S'en passer serait absurde.

Bien sûr, chaque ville compte aussi des hôtels, abordables, comme le Santa Clara Libre, à Santa Clara, où la chambre coûte 20 $, petit-déjeuner inclus. Dans les hôtels d'État, le confort est toutefois assez sommaire. Et les murs, en carton. Ceux qui ont le sommeil léger penseront à se munir de bouchons. Le silence est rare à Cuba. La musique s'arrête après minuit et le coq chante avant 6 h. Même en ville.

Nuits cubaines

Cela dit, la nuit venue, rien ne vous oblige à dormir. Les rues se vident au coucher du soleil, vers 18 h. Mais ne vous laissez pas berner. Après le souper, vers 20 h, elles se remplissent de nouveau.

Pour entendre de la musique cubaine à la sauce Buena Vista Social Club, il suffit de débusquer la Casa de la musica ou le centre culturel de l'endroit. Les places centrales sont aussi souvent le théâtre de concerts impromptus ou de festivals.

À Trinidad, la Casa de la musica se trouve juste derrière la Plaza Mayor.

À Santa Clara, où la vie nocturne est particulièrement active, vous pourrez entendre la formation locale de musique traditionnelle au café du Teatro La Caridad, qui borde le Parque Vidal, en plein coeur de la ville, tous les soirs vers 21 h.

Non loin, rue Marta Abreu, le Club Mejunje propose une programmation plus inattendue. Lors de notre passage, un trio de musiciennes de tango argentin jouait dans une petite salle aux murs de brique. Plus tard, dans la cour, une troupe de hip-hop venue de La Havane a fait fureur auprès de dizaines d'étudiants et des quelques travestis qui avaient pris d'assaut l'endroit. Pas ennuyant. Et gratuit.

Suivez le guide

Pour nombre de voyageurs, l'internet a rendu caduc le guide de voyage. On l'achète parfois pour voyager avant le temps, faire quelques réservations, puis on le laisse souvent à la maison histoire d'alléger ses bagages. À Cuba, il est drôlement utile. On peut passer devant un restaurant, un musée même, sans savoir qu'il s'y trouve. Entre autres choses ici, l'affichage est plutôt aléatoire.

En matière de restos, d'ailleurs, se laisser guider par sa fortune est un pari risqué. La qualité de la nourriture varie incroyablement d'un endroit à l'autre. On vous dira ici qu'il n'y a pas d'oeuf, même si la moitié des plats sur la carte en proposent. Et on vous servira là une immense portion de côtelettes de porc, avec courge et salade, contre une bouchée de pain. Les auteurs des guides ont joué aux cobayes, aussi bien en profiter.

Nos deux coups de coeur : El Alba, à Santa Clara, où vous vous remplirez la panse de délicieux plats de viande pour 3 $ ou 4 $, et Sol y Son, à Trinidad, un peu plus cher, mais raffiné comme pas un, avec ses beignets de banane farcis, son porc effiloché et sa sublime terrasse. Vous croiserez des Cubains au premier, que des touristes au second.

Sur la route

Bien dormi, bien mangé, bien dansé. À Cuba, tout irait-il comme sur des roulettes? Presque. Car pour le visiteur, les contradictions cubaines sautent aux yeux quand il est question de transport.

D'abord, louer une auto coûte ici souvent plus cher qu'aux États-Unis. Et les assurances obligatoires ne valent pas grand-chose si vous avez un accident, surtout si vous en êtes responsables. Embrouillaminis en vue.

Ensuite, le réseau ferroviaire de Cuba est en piètre état. Certains trains principaux roulent régulièrement. Pour les autres, c'est un peu la loterie. Départs annulés sans raison, parcours très longs : il faut avoir du temps.

Heureusement, les choses vont aujourd'hui plus rondement en autocar. La compagnie Viazul effectue des liaisons régulières entre à peu près toutes les villes de grande et moyenne importance. Les tarifs sont fort raisonnables, les trajets un peu longs : le billet Trinidad-Holguin, un parcours de 460 km, coûte ainsi 26 $ et se fait... en 8 h 30.

Pour acheter son billet, les choses peuvent aussi se compliquer. En hiver, mieux vaut se présenter la veille à la gare routière, souvent un peu loin du centre, pour réserver sa place. Sinon, on risque d'avoir à inscrire son nom sur une liste d'attente. Le tout se fait au bureau de Viazul... pas toujours évident à trouver dans la gare. Une solution de rechange : faire une réservation sur l'internet (www.viazul.com).

Seuls les étrangers montent dans les bus de Viazul. Et à moins de maîtriser absolument l'espagnol et d'avoir quelques gènes locaux, ne tentez même pas d'embarquer dans les bus de la compagnie Astro, plus abordables, mais seulement pour les Cubains. On vous en empêchera.

Une fois à bord d'un car Viazul, vous pourriez assister aux petits trafics du chauffeur et de ses amis. En plus des arrêts prévus, il y en aura ici et là pour déposer des oignons ou faire monter une fille. Et ça devient parfois digne d'une farce. Pour le dîner par exemple, un arrêt est prévu dans un restaurant au milieu de nulle part. Au menu, quelques sandwichs au jambon ou à rien et des jus. Point final.

L'escale dure près d'une heure, pendant laquelle, sous les yeux de touristes restés sur leur faim, le chauffeur et sa bande se délectent d'un immense steak, avec du riz, des concombres, etc. Joli renversement de situation.

À destination, attendez-vous aussi à être... attendu. Quand le bus de touristes débarque à Trinidad, un préposé tire un fil de fer pour empêcher des dizaines de propriétaires de casas particulares, de chauffeurs de taxi et de guides en tous genres de sauter sur les passagers. Les propositions et les cris fusent de partout. Vos devises sont fortes, elles intéressent tout le monde.

Ah oui, si le car part sans vous, faute de place, ne vous découragez pas trop vite. Il y aura presque toujours un chauffeur pour vous emmener. Oui, c'est un peu plus cher. Mais 40 $ pour passer trois heures à bord d'une Chrysler 1958 rouge pétant, les fenêtres baissées, entre les montagnes de l'Escambray et la mer des Caraïbes, à parler avec son propriétaire de tout, de rien et de l'arrivée du Che à Santa Clara aux premiers jours de la révolution, boire un verre en route, fumer une cigarette trop forte même si on ne fume pas... et tomber amoureux de Cuba, c'est un prix imbattable.