Sur un modeste terrain de foot on tire des feux d'artifice et même quelques coups de feu en l'air: c'est le coup d'envoi du carnaval des effrayants «bate-bolas» dans une banlieue de Rio où 170 hommes avec le même déguisement fluo d'Arlequin et masque grimaçant surgissent en hurlant.

Ces «bate-bolas» (littéralement frappe-ballons) ou «clovis» (dérivé du mot clown) ont entre 15 et 45 ans et affirment que leur groupe, baptisé «Groupe des Indiens», est leur famille.

Alors qu'ils effraient quelque peu les habitants avec leurs hymnes funk assourdissants et leurs cris gutturaux, le thème du défilé est puéril: ils ont choisi cette année «Winnie l'ourson».

Un masque surmonté d'une coiffe de plumes multicolores cache leur visage. Ils portent des gants et tiennent d'une main une ombrelle à l'effigie de ...Winnie l'ourson qu'ils ne cessent d'agiter et, de l'autre, un ours en peluche.

«On profite du carnaval pour trouver une fille, l'embrasser sur la bouche et lui faire cadeau de l'ourson», explique en riant, dimanche soir à l'AFP, Robinson Jones, 36 ans et déjà grand-père.

Tandis que les grandes écoles de samba reçoivent des millions de dollars des mafieux de la loterie clandestine ou d'entreprises privées pour financer leur luxueux défilé sur le sambodrome, ces groupes de carnaval traditionnel et populaire ne jouissent d'aucune couverture médiatique. Ils survivent grâce aux efforts et à la solidarité des habitants du quartier.

Trente mètres de rêve

Buvant de la bière sans arrêt, ils revêtent des déguisements qui les couvrent de la tête aux pieds en dépit de la chaleur. Ils peuvent coûter plus de mille dollars, une fortune pour ces habitants : leggins en patchwork aux couleurs fluo, une tunique orange aux énormes manches bouffantes et jusqu'à 30 mètres d'une traine couverte de mille plumes.

Quelque 70 filles dénommées les «Minettes de l'Indien» suivent le groupe avec des costumes plus sexys -mini jupe et bas résille-, mais moins sophistiqués.

«Le carnaval pour les gens d'ici est une culture, un art de s'amuser. On attire plus de mille personnes tous les ans et on a aucune subvention. La mairie finance un peu les écoles de samba, mais ne nous donne rien», a déclaré à l'ADP Marcel Rodrigue, 44 ans, chef du groupe.

Néanmoins, cette ancienne tradition des «bate-bolas» ou «clovis» revient en force dans les banlieues de Rio, selon lui.

Les «bate-bolas» sont séducteurs

«Les bate-bolas sont séducteurs et en même temps effrayants. Au moment où ils sortent tous ensemble, ça vous donne la chair de poule. C'est bruyant, désordonné et c'est quelque chose de guttural, de primitif qui fait peur», a expliqué à l'AFP l'expert en culture populaire, Aline Pereira, de l'Université de Rio (Uerj).

L'heure de sortie du groupe se transmet de bouche à oreille pour créer la surprise.

Il y a différents types de «bate- bolas». Certains sortent avec un ballon (autrefois des vessies de vache) attaché à une corde qu'ils frappent le plus violemment possible sur le sol pour faire un bruit sec et d'autres, comme le Groupe des Indiens, avec des ombrelles ou des drapeaux.

Le quartier de Guadalupe (zone nord) «attend toute l'année ce moment. Le groupe des Indiens a vu le jour il y a 25 ans dans une famille très unie», raconte Dulce Farias, 75 ans, qui en profite pour vendre des beignets aux crevettes dans la rue.

Très exalté, l'un des participants s'est mis à tirer des coups de feu en l'air au moment de la sortie du groupe.

«C'était l'euphorie. Parfois, on n'arrive pas à tout contrôler. Je l'ai vu et je lui ai dit d'arrêter», se justifie Douglas da Silveira , l'un des organisateurs.

Ils parcourront lundi d'autres quartiers de la ville en s'amusant à faire sursauter les passants.