Parmi les montagnes les plus dangereuses du monde, l'Everest et l'Annapurna trônent au sommet. Le Cerro Rico, en Bolivie, n'est pas en reste, puisqu'il est détenteur d'un triste palmarès : il a déjà englouti plus de 6 millions d'âmes et en avale encore aujourd'hui. Nous avons emprunté, à plat ventre, les galeries de cette ancienne mine d'argent, toujours exploitée. Une expédition traumatisante.

«On l'appelle la montagne qui mange les hommes», lâche Ernesto, en montrant au loin l'étrange monticule orange et soufre. L'ancien mineur bolivien, reconverti en guide touristique, en a réchappé. Désormais, il entraîne des centaines de curieux et d'intrépides au coeur des galeries obscures. «On gagne moins qu'en creusant», confie-t-il. Mais l'on cesse de trimer dans une atmosphère digne de Germinal, version XXIe siècle...

Fiché à plus de 4800 m d'altitude dans la cordillère des Andes, le Cerro Rico (Colline riche), projetant son ombre inquiétante sur la ville de Potosi, a été la plus abondante mine d'argent jamais découverte. Rapidement pillée par les colons espagnols, qui y ont envoyé les autochtones par dizaines de milliers se tuer à la tâche, elle ne recèle aujourd'hui que des ressources de moindre valeur, comme de l'étain. Et pourtant, elle continue de dévorer les hommes.

En un clin d'oeil, l'une de ses centaines d'entrées, bouche béante, nous gobe et nous enveloppe dans un palais d'une intense noirceur. De chacun de nous, il ne reste qu'un visage fantomatique, faiblement éclairé par le halo de nos lampes frontales. À mesure que nous progressons, les parois des galeries se rétrécissent et nous prennent en tenaille.

La chaleur, elle aussi, devient écrasante: l'air se raréfie, et une suffocante odeur de soufre assaille nos poumons. Dans les pas d'Ernesto, l'échine courbée, nous suivons les rails qui strient les galeries. Se recroqueviller et ramper devient vite indispensable. Pour la moitié de notre groupe de huit visiteurs, c'en est déjà trop. Quatre d'entre eux abdiquent. «On va crever, ici!», s'indigne une Française, avant de faire demi-tour. C'est malheureusement le cas : le Cerro Rico, on y crève.

Au loin résonnent les premiers coups de pioche. «Ici, les mineurs s'organisent en coopératives. Mais ils peuvent également acheter un filon et garder le bénéfice de leurs extractions», explique Ernesto, en présentant un groupe de travailleurs. Casque, masque, chique de coca coincée dans la joue: ainsi parés, suant à grosses gouttes, ils grignotent la roche, ne s'arrêtant que pour une rasade d'eau ou d'alcool. Le plus jeune a 19 ans, une femme et un enfant. «Pourquoi travailles-tu ici ?», l'interroge Ernesto. «Par nécessité», répond-il. C'est ainsi.

Un autre mineur nous invite à déplacer son sac de pierres. Même à deux, impossible de le soulever Le travailleur s'esclaffe, malgré une situation au comique tout relatif. Il devra le hisser sur son dos pour le remonter à la surface. Un effort herculéen. Voire inhumain.

Dans la galère des galeries

Notre guide bolivien nous conduit au quatrième niveau de la mine, qui compte plus d'une centaine de galeries réparties sur cinq paliers. Irrespirable. La pénombre, noir d'encre infernal, s'intensifie. Notre ouïe est surexcitée, imaginant des dangers omniprésents : la vibration des rails au passage des chariots bourrés de pierres, le grondement sourd des explosifs et cette respiration rauque qui nous suit. C'est celle d'un mineur, qui se fraie un passage. «Il a contracté un cancer des poumons, se désole Ernesto. C'est commun. Chez nos travailleurs, l'espérance de vie est en moyenne de 50 ans.» Mais, pour nourrir leur famille, ils continuent de creuser.

Il faut bien un diable pour régner sur cet enfer. Le Cerro Rico a le sien, comme le veut la coutume. Avant de regagner la surface, Ernesto nous le présente: El Tio, grand mannequin satanique érigé à l'entrée d'une galerie, est censé offrir les meilleurs filons aux mineurs, à condition qu'ils lui présentent des offrandes: c'est pourquoi un tapis de feuilles de coca est placé à ses pieds.

Une fois dehors, le soleil nous fait plisser les yeux. L'odeur de soufre, elle, collera à notre peau des jours durant. Elle finira par s'évanouir, mais le souvenir de ces mineurs concassant la «montagne qui mange les hommes» restera à jamais gravé dans notre esprit.

Avertissement

La visite des mines de Potosi n'est pas recommandée à tous. Leur état peut présenter des dangers. Claustrophobes, asthmatiques et âmes sensibles s'abstiendront. On peut également s'interroger sur la décence de cette visite. À noter toutefois qu'une partie des frais du tour guidé revient aux coopératives de mineurs. Les visiteurs sont aussi incités à apporter des présents (eau, feuilles de coca) qu'apprécient les travailleurs.

Photo Sylvain Sarrazin, La Presse