Buenos Aires, peuplée surtout par des immigrants venus d'Europe, rappelle à certains égards la vieille Europe.

On sent d'ailleurs à Buenos Aires une certaine nostalgie du Vieux Continent, une ambiguïté entre l'Ancien et le Nouveau Monde. Buenos Aires est une ville caméléon qui a su intégrer les influences diverses sans y perdre son âme. Si la grande Avenida 9 de Julio se donne des airs de Champs-Élysées et si les édifices de la Plaza Libertador San Martin rappellent la Ville lumière, les rues piétonnières et commerciales Lavalle et Florida, avec leurs boutiques, leurs restaurants-minute et leurs gratte-ciel, ont davantage une ambiance nord-américaine.Mais pour retourner aux sources de Buenos Aires, il faut aller à La Boca, quartier situé dans les bas-fonds de la ville, près du port de mer, et associé à l'immigration italienne. C'est là que serait né le tango. Le Caminito, dont les maisons sont peintes de différentes couleurs et qui s'anime pendant le jour avec ses musiciens et artistes dans une ambiance qui rappelle la rue du Trésor à Québec, est la ruelle la plus connue de Buenos Aires.

Mais le coeur de Buenos Aires, qui ressemble à certains quartiers de Rome avec ses rues étroites de vieux pavés, ses maisons patrimoniales défraîchies, ses pizzérias, ses nombreux cafés et ses an- tiquaires, c'est le quartier San Telmo. C'est le Vieux-Montréal ou le Vieux-Québec, le petit Montmartre des Porteños (les habitants du port par opposition aux gens de l'intérieur du pays).

Photo: Gérard Coderre

Vue du centre des affaires de Buenos Aires.

Immense Marché aux puces

Le dimanche, la Plaza Dorrego, située au coeur de ce quartier, devient un immense marché aux puces qui déborde dans les rues avoisinantes. On y trouve notamment verrerie, vêtements, bijoux, et facones («couteaux»), éperons et boleadoras («lassos») des gauchos. Et la fête ne serait pas complète à la Plaza Dorrego sans quelques pas de tango argentin.

Le centre historique et névralgique de la ville et vers lequel convergent toutes les lignes de métro, que les Argentins appellent subte, c'est la Plaza de Mayo. Nommée ainsi en mémoire de la révolution qui a débuté en mai 1810, elle donne sur la Casa Rosada qui a vu Juan et Evita Peron dans toute leur gloire dans les années 1940 et 1950. Elle est devenue tristement célèbre sous le régime des généraux alors qu'elle servait de lieu de rassemblement aux femmes (les folles de mai) qui venaient manifester silencieusement en mémoire d'un des leurs disparus pendant la guerra sucia («la guerre sale»).

L'Argentine, comme son nom l'indique, est un pays né d'un mythe, celui d'un Eldorado à conquérir regorgeant de richesses et où tous les espoirs sont permis.

Cette réputation ne tarde pas à attirer à Buenos Aires, à la fin du XIXe siècle, des immigrants, surtout des hommes, venus d'un peu partout en Europe et d'ailleurs avec l'intention d'y faire fortune, mais qui se retrouvent le plus souvent sans le sou et condamnés à vivre dans les bas-fonds de la ville.

Photo: Gérard Coderre

Deux enfants à la Plaza de Mayo, le centre historique et névralgique de la ville, nommé ainsi en mémoire de la révolution, qui a débuté en mai 1810.

Le désarroi d'un pays d'hommes

Dans ce milieu d'hommes solitaires et nostalgiques naît, dans le quartier de La Boca, le tango, comme une expression du désarroi et de la misère de milliers d'immigrants. Ignoré par la bourgeoisie de son pays d'origine, le tango n'acquiert ses lettres de noblesse qu'après avoir d'abord été popularisé en Europe. À la musique, on ajoute, au début du XXe siècle, des textes racontant la fatalité, la nostalgie et les aléas de la vie, le tango devenant une sorte de plainte, de fado argentin, de rap de la rue racontant les déboires d'une époque. Bientôt, les textes se font plus romantiques et le tango se danse à deux alliant la détermination du flamenco, la rigueur de la valse, la sensualité d'un rythme latin et la nonchalance d'un artiste qui veut donner une touche personnelle à son oeuvre.

Un Français d'origine, Charles Romuald Gardès, qui immigre en Argentine à la fin du XIXe siècle, est élevé dans les bas-quartiers de Buenos Aires. Mieux connu sous le nom de Carlos Gardel, le morocho («le brunâtre») devient le plus grand chanteur de tango de tous les temps. Sa voix, empreinte de tristesse et de nostalgie, fait le tour du monde. Un accident tragique met toutefois fin à sa carrière en 1935. Plus de 70 ans après sa mort, ses disques et ses grands succès Decime, Que Esperas, Mi Noche Triste et bien d'autres se vendent encore par millions.

Au cimetière de Characita, la tombe de «Carlito» est toujours fleurie et certains prennent le temps, après avoir rendu hommage à leur idole, de vous faire entendre une de ses chansons ou de vous remettre sa photo. On répète, à qui veut bien l'entendre, qu'il était le plus grand chanteur de tous les temps et qu'il le restera toujours. Ses admirateurs prennent également le temps, à tout moment de la journée, de glisser une cigarette allumée entre les doigts du roi du tango dont la statue trône toujours fièrement dans ce cimetière de quartier. Le filet de fumée qui s'élève vers le ciel donne l'impression que Carlos, cheveux gominés, main gauche dans la poche, noeud papillon et oeillet à la boutonnière, souriant et élégant comme un acteur du cinéma muet, est encore vivant.

Le tango, dont la sensualité colle à la peau et imprègne toute l'atmosphère, comporte un certain nombre de figures codifiées où les jambes s'enlacent, les corps s'emmêlent et les têtes chavirent. Le tango raconte l'histoire du macho prêt à se battre pour la femme désirée, de l'amant abandonné ou de la femme aimée puis laissée pour compte, comme si l'amour n'était jamais simple et la réalité faisait ombrage au rêve et à la passion pour devenir mélancolie et tristesse.

Danse métissée, en raison de ses origines diverses, elle s'identifie au destin de l'Argentine, un peuple d'immigrants. Danse des bas-fonds et des maisons closes, elle est devenue hautaine et presque guindée. Danse d'hommes, elle est devenue un hommage à la féminité. Érotique et sensuelle, elle peut être aussi mélancolique et lyrique. Expression des moeurs légères, le tango est devenu plus recherché et populaire à la fois, une sorte d'art de vivre... un état d'âme.

À en juger par le nombre d'écoles de tango à Buenos Aires et pour avoir vu des gens de tout âge fréquenter les temples du tango, cette danse est beaucoup plus qu'une tradition qu'on tente de sauvegarder à des fins touristiques. C'est l'âme de Buenos Aires.

Photo: Gérard Coderre

Le quartier coloré La Boca, situé dans les bas-fonds de la ville, s'anime pendant le jour dans une ambiance qui rappelle la rue du Trésor à Québec.

Temples de tango

Il suffit de se procurer le guide officiel pour se frayer un chemin d'un temple du tango à l'autre. La Confiteria Ideal, pour ne nommer que celui-là et qui servit de décor pour le film Evita, est un haut lieu du tango à Buenos Aires. Son décor d'une autre époque nous ramène au coeur du Buenos Aires historique et rend bien l'âme des Porteños.

Que ce soit aux abords des Galeries Pacifico, La Mecque du magasinage à Buenos Aires, sur la rue commerçante Florida au milieu de la foule le samedi soir ou sur la Plaza Dorrego à San Telmo le dimanche, le tango est de toutes les fêtes et de tous les rassemblements populaires. On ne peut se lasser d'être témoin de cette complicité entre deux corps où la sensualité de la femme et la fierté mâle se donnent rendez-vous dans un jeu de séduction et un rituel fait d'érotisme et de tendresse, de solitude et d'étreintes. Le tango est avant tout une danse de contacts, une façon de draguer... peut-être, mais aussi une façon de converser.

Au Bar Sur, haut lieu du tango à Buenos Aires, on vient surtout pour entendre et voir du tango. Dans un décor feutré et vieillot du début du XXe siècle qu'on se garde bien de rafraîchir et surtout de rénover, des musiciens font écho aux airs les plus connus, une chanteuse reprend les succès de Carlos Gardel et un couple de danseurs aux cheveux gominés et maquillés comme des bêtes de scène en mettent plein la vue.

Photo: Gérard Coderre

Monument sur la tombe de Carlos Gardel, le plus grand chanteur de tango de tous les temps.

Repères

Formalités : Aucun visa n'est requis. Un passeport en règle suffit. Ambassade de l'Argentine : 81, Metcalfe, 7e étage, Ottawa (Ontario), K1P 6K7, Tel : 613 236-2351

Transport : Quelque 2500 kilomètres séparent Buenos Aires de Terre de Feu. Des vols réguliers relient la capitale de l'Argentine, notamment aux chutes d'Iguaçu, à Puerto Madryn (péninsule de Valdes), Calafate (parc des Glaciers) et Ushuaia (Terre de Feu).

L'Argentine se visite facilement en voiture ou en autocar, quoique certaines routes qui longent les Andes près de la frontière chilienne peuvent être temporairement fermées pendant l'hiver austral en raison de la neige.

À Buenos Aires, le métro (appelé subte) et l'autobus permettent d'accéder rapidement aux différents quartiers de la ville pour un peso (0,35 $). Une course en taxi entre les différents quartiers de la ville coûte entre 3 et 5 $.

De Buenos Aires, on peut faire une incursion en Uruguay, le pays voisin de l'autre côté du Rio Plata, en empruntant le Buquebus (ferry) notamment pour Colonia, Montevideo et Punta Del Este. Aucun visa n'est requis pour l'Uruguay.

Devise et coût de la vie : Il est moins coûteux de voyager en Argentine depuis que le peso ne s'échange plus au pair avec le dollar américain. Un dollar canadien vaut aujourd'hui 2,85 pesos argentins. Le dollar américain est accepté partout.

Souvenirs : On trouve vêtements, bijoux et peintures sur le thème du tango et plein de surprises chez les antiquaires et au marché aux puces de San Telmo.