La technique utilisée par les artisans, dans le nord du Nigeria, pour teindre le coton couleur «indigo», est la même depuis plus de 500 ans. Mais la baisse brutale du nombre de touristes dans la région pourrait mettre en péril cette tradition ancestrale.

À Kano, la deuxième plus grande ville du Nigeria, une solution à base de bâtons «indigo», de cendres et de potassium, repose pendant plus d'un mois dans de petits «puits» d'un mètre 80 de profondeur avant de servir à la teinte du tissu.

Ces 125 puits rassemblés derrière de hauts murs, dans le quartier de Kofar Mata, appartiennent aux mêmes familles depuis leur construction, en 1498.

«Notre savoir-faire local est le secret de notre survie», explique Yusuf Sa'id, âgé de 38 ans.

La volonté acharnée des artisans de perpétuer une pratique vieille de plusieurs siècles a eu raison du déclin de l'industrie textile de Kano.

Le Nigeria, pourtant premier producteur de pétrole d'Afrique, ne peut fournir d'électricité en continu et les usines, confrontées à des pannes de courant quotidiennes, sont obligées d'avoir recours à de coûteux groupes électrogènes.

À cause des coûts engendrés par les contraintes logistiques, associés à la concurrence des tissus importés, bien meilleur marché, les 20 usines qui faisaient de Kano la capitale nigériane du textile ont fermé une à une ces 20 dernières années, raconte Ali Madugu, président adjoint du principal syndicat de fabricants du pays.

Dans l'immense marché aux textiles de Kano, dont les acheteurs affluent de tout le Nigeria et des pays limitrophes, la grande majorité des tissus viennent désormais d'Asie, déplore Liti Kukul, de l'association des commerçants du textile.

À plusieurs reprises le gouvernement a tenté de prendre des mesures protectionnistes telles que l'instauration de taxes à l'importation de tissus, mais celles-ci ont eu peu d'effets.

Les artisans des puits d'indigo, qui ne sont pas concernés par les problèmes d'électricité, notamment, sont les derniers fabricants de tissu de la ville.

Mais s'ils continuent à attirer une clientèle locale d'habitués, ils souffrent du manque de visiteurs occidentaux, à cause des problèmes d'insécurité.

La plupart des ambassades étrangères ont recommandé à leurs ressortissants au Nigeria de ne pas se rendre dans le nord du pays, secoué depuis 2009 par l'insurrection islamiste du groupe Boko Haram.

Si la majorité des attentats est concentrée dans le nord-est, fief historique de Boko Haram, Kano (nord) a aussi été prise pour cible par le groupe islamiste, notamment en janvier 2012, où une série d'attaques coordonnées avaient fait au moins 185 morts au cours d'une même journée.

Le Nigeria n'a jamais été une destination très touristique, mais Kano, une ville riche en histoire, attirait notamment un public d'expatriés vivant à Lagos et à Abuja.

«Les touristes venaient en grand nombre, tous les jours, mais maintenant ils ont peur de l'insécurité», regrette M. Sa'id. «L'activité tourne au ralenti depuis deux ans».

Les 125 puits, par conséquent, ne sont pas tous en activité: pour chaque puits, la préparation à base d'indigo coûte environ 309$, un prix exorbitant pour de nombreux exploitants, même si la même teinture peut ensuite être utilisée pendant un an.

Assis sur un tabouret, un artisan trempe un morceau de coton fait à la main dans la teinture à l'aide de gants en caoutchouc couverts de taches violacées.

Chaque tissu doit être plongé une minute dans la teinture puis étendu à l'air libre une minute ou deux.

«On répète ce cycle jusqu'à l'obtention de la couleur désirée», explique M. Sa'id. En une heure, on obtient un indigo clair et le procédé peut durer jusqu'à trois heures pour produire des tons plus foncés.

Juste avant qu'il ne soit teint, des femmes décorent le tissu selon un des dix modèles existants.

Une pièce de ce tissu teint et décoré se vend environ 21$ sur le marché.

Le gouvernement de l'État de Kano a dépensé environ 98 300$ cette année pour restaurer le site de Kofar Mata, un peu défraichi avec les années.

Mais M. Sa'id assure qu'en cinq siècles, la paroi intérieure des puits d'indigo est restée intacte.

Certains en doutent, et ceux de l'époque de la construction ne sont plus là depuis longtemps pour témoigner. Mais l'artisan est formel: les «matériaux locaux» utilisés comme revêtement sont restés imperméables.

Et aucun des étrangers ayant tenté de copier ce genre de revêtement n'y est encore parvenu jusqu'à présent, ajoute-t-il fièrement. «C'est notre secret bien gardé».

Photo Aminu Abubakar, AFP