Fréquentée par les stars et les grands, l'île Maurice, au milieu de l'océan Indien, représente pour beaucoup une destination de grand luxe à visiter une fois dans sa vie. Beaucoup en rêvent, mais peu s'y rendent et un nombre encore plus restreint de voyageurs y retourne. Notre journaliste a eu cette chance et a constaté comment les inconstances de l'économie mondiale se manifestaient au paradis.

«Quand je lui ai dit que je planifiais des vacances à l'île Maurice, ma fille a dit, en riant: "Non, mais quelle décadence!"», lance Angela, infirmière allemande qui, échevelée par le vent marin, nourrit la conversation matinale, sur le petit bateau aux contours un peu rouillés qui nous transporte pour plonger en apnée dans un parc naturel de coraux. Nous sommes à Blue Bay, tout au sud de l'île, au début du mois de juillet, soit au plus creux de l'hiver mauricien. Il fait 26°C et seuls quelques nuages parsèment le ciel.

Vrai, la décadence enveloppe Maurice, où le soleil, on dirait, brille plus fort qu'ailleurs, où les hôtels cinq étoiles sont les stars du littoral, où le lagon bleu translucide fait de chaque immersion sous-marine une expérience initiatique, où fuchsia, bleu et rouge vif recouvrent les ornements des temples à la gloire de Ganesh, Siva, Hanuman, où le populeux marché public de Flacq donne l'impression d'être téléporté jusqu'à New Delhi...

L'île, toute petite et densément peuplée par des descendants hindous, indo-musulmans, chinois, africains et français, déborde d'un trop-plein d'intensité.

Quelques jours après mon atterrissage à Maurice, en septembre 2000 pour un stage professionnel de six mois, j'ai vite compris que la grande majorité des visiteurs étrangers étaient soit des tourtereaux européens en lune de miel, soit des vacanciers très fortunés. Aux manchettes de 18h, il n'était pas rare d'apprendre que Jacques et Bernadette Chirac, Whitney Houston et Bobby Brown et autres «people» du moment, venaient de débarquer au Saint Géran ou au Touessrok, institutions emblématiques du luxe hôtelier mauricien.

En 2014, les abonnés aux cinq étoiles n'ont pas déserté les somptueux complexes du Morne ou de Trou d'eau douce, encore fort prospères pendant la haute saison (de novembre à avril). La prolifération des cafés, restaurants, boutiques de surf a gagné Grand Baie, tout au nord, où même la chaîne britannique Woolworth s'est implantée. L'embourgeoisement a aussi métamorphosé la petite île aux Cerfs, jadis paradis secret des aventuriers, en vaste terrain de golf dominé par un hôtel de luxe.

Certes, quand la civilisation avance, la forêt recule... Mais à travers les branches des cilaos, on chuchote que l'argent ne coule plus à aussi grands flots autour des piscines à débordement du littoral.

Crise économique mondiale oblige, l'opulence se fait plus discrète dans ce paradis du service bancaire «offshore» aux lagons clairs. «Ceux qui ont déjà visité ne reviennent plus une deuxième et une troisième fois. Ils n'en ont plus les moyens», analyse le chauffeur de l'autobus qui fait la navette entre la ville de Mahebourg et le petit village touristique de Blue Bay.

«Les Européens sont moins riches maintenant. Donc les chaînes hôtelières essaient d'attirer davantage les Indiens et les Chinois», poursuit-il. Preuve de ce renouveau touristique asiatique: la séance de karaoké qui, cette soirée-là, a dominé le bar-salon de l'hôtel.

Les délices de l'île Maurice

La basse saison et la récession mondiale rendent l'île plus accueillante pour les voyageurs à budgets restreints qui, comme Angela, profitent des tarifs avantageux dans un hôtel convenable et bon marché de la côte sud. «Hier, j'ai pris le bus de Mahebourg à Port-Louis. C'était fantastique!», raconte-t-elle, contente d'avoir osé sortir des sentiers battus en préférant les transports en commun au taxi.

Toute l'île est bien desservie par un service de bus rapide, ponctuel, économique et très amusant. De sorte que pour l'équivalent d'un ou deux dollars canadiens, on peut se promener de Curepipe jusqu'à Quatre-Bornes (ville centrale réputée pour son marché public), faire une escale au Chinatown de Port-Louis ou simplement étendre sa natte sur la plage du Morne Brabant. Avec en prime une musique de Bollywood (ou de séga mauricien, selon les goûts du chauffeur) comme trame sonore de ces voyages riches en expériences sensorielles, avec les églises, mosquées, temples et nombreux panneaux publicitaires en créole qui bordent les routes.

«Pas besoin de prendre des photos tu sais: tu peux trouver toutes ces images sur Facebook», m'informe le passager indo-mauricien du siège arrière, dans le bus qui voyage de Flic en Flac à Curepipe.

Oui, les temps ont changé à Maurice, comme ailleurs. En 2000, l'internet y fonctionnait au gré des caprices de modems désuets et des pannes d'électricité fréquentes. Treize ans plus tard, tous les Mauriciens, y compris les grands-mères en saris, envoient des photos de leur île à leurs amis et familles outremer.

Mais aussi lointaine soit-elle, Maurice mérite qu'on y retourne et la contemple «en vrai». Parce que, de temps en temps, il fait bon d'être décadent.

Photo Sylvie St-Jacques, La Presse

L'île, toute petite et densément peuplée par des descendants hindous, indo-musulmans, chinois, africains et français, déborde d'un trop-plein d'intensité.