Est-ce une bataille gauche-droite ? technocrates contre militants ? riches contre les pauvres ? Le chantier du futur Train à Grande Vitesse (TGV) marocain est en bonne marche, mais «l'affaire» continue de mobiliser deux camps opposés, revélant deux visions du Maroc de demain.

C'est peu dire que le futur TGV marocain inauguré en septembre 2011 - une première dans le monde arabe - ne fait pas l'unanimité, tant les enjeux sont importants.

Le Maroc se modernise à toute vitesse au niveau de ses infrastructures, aidé par une bonne croissance ce dernières années.

Mais en même temps, la majorité de la population reste pauvre et les inégalités sociales élevées dans ce pays d'environ 33 millions d'habitants, le plus peuplé du monde arabe derrière l'Egypte et l'Algérie.

A la gare centrale de Rabat, les voyageurs s'apprêtent à embarquer. Direction Tanger, au nord du royaume. Durée du voyage : 3h45.

Mais peut être plus pour très longtemps. Fin 2015, le TGV devrait relier via Rabat, Casablanca et Tanger - les deux pôles économiques du pays distants d'environ 350 km - en un peu plus de deux heures. Coût du projet : 25 milliards de dirhams, soit 2,2 milliard d'euros, une «somme astronomique» pour les opposants.

Les membres d'un collectif baptisé «Stop TGV» demandent l'arrêt du projet, qu'ils considèrent comme «non-prioritaire» pour un pays pauvre comme le Maroc.

Chaque partie fourbit ses arguments, mais le dialogue est difficile.

Un débat public était prévu il y a quelques semaines entre les responsables de l'ONCF (Office national de chemins de fer) et le collectif. Mais il a tourné court quand des opposants ont distribué au public des tracts portant les mots «Torpillage, Gaspillage, Vol» pour TGV.

«L'insulte n'est pas la meilleure façon de discuter», a fait valoir l'ONCF.

Mais l'esprit des opposant est loin d'être calmé.

«C'est un projet qui n'est pas prioritaire pour le Maroc. 25 milliards, c'est l'équivalent de 25 000 écoles dans le monde rural, 16 000 bibliothèques, 10 000 médiathèques et 25 centres universitaires hospitaliers», note Omar Balafrej, un des principaux membres du collectif «stop TGV».

Les détracteurs du projet rappellent que le Maroc est classé 130e selon l'indice mondial de développement humain et que de très nombreuses régions ne sont pas encore desservies par le rail «classique».

«Il faut comparer ce qui est comparable», rétorque-t-on à l'ONCF, qui fait valoir que le seul budget annuel de l'enseignement est de 52 milliards de dirhams (4,7 milliards d'euros).

L'ONCF souligne aussi que la ligne existante entre Tanger et Casablanca est arrivée à saturation. Elle mise sur une clientèle de six millions de passagers à l'horizon 2016 contre 3,5 millions actuellement. L'offre voyageurs, frêt et logistique a déjà doublé en dix ans, selon elle. Et surtout, «l'exploitation du TGV ne sera pas subventionnée».

«Nous avions le choix entre deux options : soit rectifier et doubler la ligne existante, soit faire une nouvelle ligne à grande vitesse», explique à l'AFP Mohamed Rabie Khlié, directeur général des chemins de fer marocains.

«Le coût, la différence entre les deux options, c'est 30%; et les retombées socio-économiques d'une ligne grande vitesse sont bien meilleures que pour une ligne classique», précise-t-il, en soulignant «les opportunités pour la croissance, et la création de richesse» ainsi que les avantages en «gain de temps» et pour la «sécurité routière».

C'est le français Alstom qui a obtenu, de gré à gré, le marché de construction des 14 rames du TGV. L'ensemble du projet est financé, sous forme de prêts, à hauteur de 60% par la France et des pays du Golfe.

Les détracteurs critiquent «l'absence de transparence» de cet accord avec Alstom, et la «préférence française» sans adjudication.

«Il n'y a pas eu de cadeaux (...) Il ne s'agit pas de projet clé en main», affirme-t-on côté marocain, précisant que l'offre française agrémentée d'un «prêt concessionnel s'est avérée la plus intéressante»; et que «le montant des prestations réservées aux entreprises françaises ne dépasse pas les 33%, sans oublier qu'une centaine d'entreprises européennes et asiatiques, et autant d'appels d'offres sont concernés par ce projet».

A l'horizon 2035, le Maroc - qui compte ainsi rejoindre le «club» des pays émergents adoptant le TGV - comptera au total 1500 km de lignes, qui s'ajouteront à un réseau autoroutier de 1800 km en 2015 (contre 1400 actuellement).