Au Kenya, alors que le gouvernement a lancé la construction d'un nouveau chemin de fer moderne, un irréductible train emprunte toujours l'antique voie ferrée coloniale qui relie la capitale à l'océan Indien. Invitation à un voyage d'une autre époque.

Nairobi, 21h sonnent. Avec deux heures de retard et dans un tintamarre qui crie son grand âge, le train entame sa marche en quittant lentement la vieille gare et l'hyperactive métropole kényane.

À l'autre extrémité de la voie, 530 km plus loin, nous attend l'indolente Mombasa, historique ville portuaire musulmane, creuset d'influences arabes, indiennes et portugaises. Le trajet doit durer 14 heures, mais comme c'est souvent le cas, ce sera bien plus long.

Dans une voiture-restaurant au charme suranné des années 70, les passagers de première classe - 60$ le billet, cabine privée et deux repas inclus - sirotent leur café, calés dans les vieilles banquettes de cuir orange. Les conversations engagées timidement avec des étrangers quelques heures plus tôt s'étirent maintenant, chaleureuses.

La nuit tombe sur le train et quelques rares lumières filtrent encore sous les portes des cabines où les passagers - mélange de touristes en quête d'aventure et de Kényans qui veulent éviter le chaos des routes - s'endorment dans leur couchette, bercés par le roulis des wagons.

À 7h du matin retentit la clochette du petit-déjeuner. Dehors, le soleil levant dévoile un tout nouveau paysage. Les gratte-ciel de la capitale ont laissé place à des forêts entrecoupées de champs et de modestes maisons aux toits de tôle. Des enfants accourent saluer le passage du serpent de fer, comme on l'appelait à sa construction au début du XIXe siècle.

La matinée s'allonge et le soleil, maintenant bien haut au-dessus d'un paysage devenu savane, fait régner une chaleur abrutissante dans les voitures. Le train traverse les parcs nationaux de Tsavo Est et Ouest, permettant, avec un peu de chance, d'apercevoir zèbres, éléphants et girafes.

Voyage en simplicité

À bord, les passagers ont adopté ce rythme lent des voyages d'un autre siècle. Sans électricité pour alimenter les gadgets modernes, on joue aux cartes, on tombe le nez dans un livre ou on se perd dans les paysages. Monica et son mari s'amusent avec leur benjamin dans une cabine inondée de soleil, alors que leurs enfants plus vieux, partis en autocar, sont arrivés à Mombasa depuis longtemps.

Le convoi traverse d'anciennes gares délabrées, vestige de l'époque où la voie, construite par le colonisateur britannique afin de relier l'océan Indien à Kampala, aujourd'hui capitale ougandaise, était le principal moyen de transport dans la région. Une époque où Nairobi n'était qu'un dépôt de marchandises que la compagnie de chemins de fer avait construit en plein territoire massaï comme escale de mi-étape.

Lors des étapes, des vendeurs ambulants viennent tendre brochettes de viande, bananes et autres en-cas aux fenêtres des wagons surpeuplés de troisième classe.

Longs retards

Nicola, jeune Anglaise qui travaille à Nairobi, sourit en observant son fiancé, en visite, s'emporter contre la lenteur du train. Déjà en retard de plusieurs heures - nous arriverons au final à Mombasa avec 10 heures de retard -, le train vient de s'arrêter pour l'énième fois sur une voie de desserte pour attendre le passage d'un convoi venant dans l'autre sens sur l'unique voie.

Philosphe, Jake, barbu en voyage humanitaire, profite de ces arrêts forcés pour sortir prendre l'air, alors que des gamins rieurs se poursuivent sous les wagons.

«Je n'ai pas pris ce train parce qu'il est rapide, explique Jake, mais pour l'expérience. C'est un voyage en lui-même.»

Puis, trois longs coups de sifflet retentissent dans l'air. Les passagers retrouvent leur siège et le train reprend sa course intemporelle.