On ne se bouscule plus sur les pistes de danse et nombre de transats sont inhabituellement vides sur la plage. À Charm el-Cheikh, célèbre station balnéaire égyptienne, on n'attend qu'une chose du futur président: qu'il fasse revenir les touristes.

Ce paradis des plongeurs en mer Rouge à la pointe sud du Sinaï semble, comme la vaste majorité des Égyptiens, avoir déjà choisi son candidat pour le scrutin de lundi et mardi: sur les façades des hôtels, les pare-brises des taxis, un seul visage; celui d'Abdel Fattah al-Sissi, l'ex-chef de l'armée qui a destitué le président islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013.

On ne voit aucun portrait de son unique rival, le leader de gauche Hamdeen Sabbahi, et ses partisans sont absents, alors que ceux du maréchal Sissi mènent une campagne tonitruante sous la houlette d'un ancien haut responsable du renseignement reconverti dans le tourisme.

Sa fille, Gina El-Gafy, dynamique directrice d'un hôtel, ne quitte pas son téléphone: elle organise la manifestation pro-Sissi du soir, tout en supervisant ses 205 employés qui enchaînent les cours de danse, d'aquagym ou de yoga avec des touristes bien plus rares qu'avant, mais ravis d'un accueil presque personnalisé.

«Il nous faut la stabilité, surtout dans le Sinaï, et elle sera rétablie plus vite si l'armée prend les choses en main», dit-elle en réclamant «un leader» pour son pays perdu, selon elle, depuis la «révolution» qui a chassé le président Hosni Moubarak en 2011.

Depuis, les revenus du tourisme ont enregistré une baisse vertigineuse: plus de 9 milliards d'euros en 2010, seulement 4,2 milliards aujourd'hui.

Avant 2011, avec 11% du PIB, le tourisme employait quatre millions d'Égyptiens, sur une population de 86 millions, et faisait vivre de nombreux proches. Mais depuis, avec les troubles incessants et les attentats qui se multiplient, l'économie s'est effondrée et ce secteur-clé avec elle.

La presse étrangère «donne une image négative», se plaint à l'AFP le ministre du Tourisme Hicham Zazou, «mais la plupart des violences ont lieu aux abords des universités et les destinations touristiques ont été presque totalement épargnées».

Depuis la destitution de M. Morsi, ses partisans manifestent régulièrement, bravant une répression qui a fait plus de 1400 morts et entraîné 15 000 arrestations.

Les attentats menés en représailles de cette répression ont tué, selon le gouvernement, quelque 500 policiers et soldats, surtout dans le Sinaï. Mais en février, un attentat a visé un bus de touristes à Taba, au nord de Charm el-Cheikh, tuant trois Sud-Coréens et leur chauffeur.

Prix bradés

À Charm el-Cheikh, quadrillée par de très nombreux policiers en civil, les touristes assurent ne pas  penser à ces violences.  «Il n'y a aucune crainte à avoir à Charm», assure à la terrasse d'un café Kim, qui vient régulièrement de Manchester.

Mais dans ce quartier très commerçant, tout est bradé. Comme les cafetiers et restaurateurs, Mme Gafy a donné des congés supplémentaires à ses employés et a baissé ses prix de 20%. Aujourd'hui, le taux d'occupation de son hôtel reste à «60, 70%».

Si les complexes hôteliers parviennent à se maintenir à flot, les petits vendeurs, eux, ont vu leur vie changer. Moustapha el-Menoufi, 40 ans, ne peut plus compter sur son magasin où sont alignées chichas, tuniques et babioles pharaoniques pour nourrir ses trois enfants.

«À Charm el-Cheikh, on a toujours tous bien gagné, mais le niveau de vie est très élevé. J'ai du mal, car je gagne moins et le loyer de mon magasin est toujours aussi cher», explique-t-il, avant de se précipiter pour vanter sa marchandise à un couple de touristes. Lui aussi fait confiance au candidat de l'armée pour ramener les touristes.

Seul le propriétaire d'un café qui ne veut pas dire son nom s'inquiète de l'arrivée d'un président issu de l'armée.

Depuis ce qu'il appelle le «coup d'État» contre M. Morsi, seul civil parvenu à la tête de l'État et premier président démocratiquement élu, ce bédouin du Sinaï, pro-Morsi, se plaint du retour de la police, toute-puissante sous Moubarak.

Justement, des policiers apparaissent, matraque à la main. Après avoir parlementé, il évoque des intimidations quotidiennes et lâche: «Ils viennent toujours nous demander de baisser la musique alors que c'est notre gagne-pain. Sous Sissi, ce sera pire que sous Moubarak».