Elle était autrefois le Migdol des navigateurs phéniciens, puis le Mogador des commerçants portugais avant de s'imposer comme un rare lieu de paix entre juifs, chrétiens et musulmans. Aujourd'hui, elle invite à la découverte dans un calme qui étonne. Voici Essaouira, ville tournée vers la mer et l'amitié.

Quand j'ai posé le pied sur la place Moulay Hassan, il ventait. Ça sentait le poisson et le pain à peine cuit. Il était tôt le matin. La ville se remettait des pluies torrentielles de la veille qui avaient inondé bien des rues. Des ouvriers nettoyaient les dégâts. Des commerçants installaient leurs présentoirs. Première impression: le calme.

 

La visite du vieux quartier de la médina en hiver, quand il n'y a pas trop de touristes, est presque silencieuse. Cette première impression s'est confirmée. Essaouira n'est pas bruyante. Elle est plus animée l'été, mais garde toujours une quiétude, qui lui est propre.

Ville ouverte par ambition, Essaouira respire la paix. Juifs, chrétiens, arabes musulmans, berbères et Noirs africains y ont le plus souvent vécu dans l'harmonie. Le vendredi était jour des mosquées, le samedi, celui des synagogues et le dimanche, celui de l'église chrétienne, la seule du Maroc qui peut, ce jour-là, sonner le tocsin pour la messe de 11h.

Il reste quelques chrétiens et trois ou quatre familles hébraïques depuis le départ massif des juifs en 1948 et dans les années 60, lors des tensions au Proche-Orient. Mais la synagogue du rabbin R. Haïm Pinto, vieille de 200 ans, est toujours ouverte dans le quartier juif du Mellah. Chaque année, des juifs du monde entier y viennent en pèlerinage.

 

Photo: Éric Clément, La Presse

Remparts de la médina d'Essaouira près de la mosquée Sidi Youssef

Essaouira est d'ailleurs la ville natale d'André Azoulay, le plus influent conseiller du roi du Maroc. Juif, il travaille sans relâche avec les autorités locales pour moderniser la cité des vents. La petite synagogue est bien entretenue grâce à des dons et aux descendants du rabbin qui vivent en Israël et en France.Un Souiri (habitant d'Essaouira), Mustafa, m'a montré un riad, habitation traditionnelle, abandonné depuis que David et Aïsha sont partis en Israël après la guerre des Six Jours. «J'avais 6 ans, je faisais leurs courses, elle me donnait des gâteaux, m'a-t-il dit. Juifs et arabes s'entendaient bien ici.»

Il reste encore bien des maisons juives abandonnées mais, petit à petit, des investisseurs les rachètent et les transforment. Tant mieux, car le Mellah est le seul quartier de Mogador où il n'est pas conseillé de s'aventurer la nuit. À cause du trafic de drogue. Même le jour, dans les ruelles boueuses et sombres, on croise des mines plutôt patibulaires...

La vie des Souiris

La médina n'est pas un quartier touristique. C'est un quartier populaire, celui des Souiris. Il y a de nombreuses boutiques pour touristes où l'on vend tissus, vêtements, souliers ou objets en bois de thuya, mais elles sont intégrées aux autres commerces locaux que sont les salons de coiffure, les épiceries, les pâtisseries, les tisseurs ou les fours de boulangerie.

Il a vraiment beaucoup plu lors de mon séjour à Essaouira et les ruelles étaient boueuses. Un jour, j'ai dû marcher pieds nus sur les pavés de la rue Allal Ben Abdellah pour pouvoir atteindre un restaurant. Essaouira est victime de son succès. La population a beaucoup augmenté ces dernières années et les canalisations installées à l'époque où les Souiris ne se lavaient qu'au hammam sont saturées.

Photo: Éric Clément, La Presse

Plat d'huîtres, de sardines et d'oursins au restaurant Le Chalet de la plage.

J'ai visité le port et ses remparts crénelés. Le matin, on assiste aux préparations des bateaux qui partiront pêcher la sardine, l'espadon, le maquereau ou le saint-pierre.On peut se promener sur la digue et les murailles, contempler les îles Purpuraires, qui tirent leur nom du fait qu'on y fabriquait, avec le murex, il y a 2000 ans, la teinture qui permettait aux notables romains d'avoir de belles toges pourprées.

De la Sqala du port, on a une belle vue de la médina en fin d'après-midi, quand la lumière est moins forte, pour apprécier les couleurs des falaises, des maisons et des rues.

Se promener dans la médina est très agréable car tout est piétonnier, contrairement à Marrakech, où les mobylettes filent à toute allure dans les ruelles. D'ailleurs, il n'y a pas de feu de circulation à Essaouira. L'avenue Sidi Mohammed Ben Abdellah est très animée, avec ses échoppes colorées. Certaines portes d'entrée en pierre, en bois et en céramique sont superbes.

Il ne faut pas hésiter à entrer dans les riads pour admirer la beauté des lieux. En suivant les remparts, on découvre les marchands de tableaux et de tissus de la Sqala de la Kasbah, on revient ensuite au coeur de la médina pour se perdre dans les souks animés, le marché de poissons et d'épices, celui des volailles et celui des grains.

«La bien conçue»

La visite du musée Sidi Mohammed Ben Abdellah, du nom du sultan alaouite qui a fondé la médina avec l'aide de commerçants juifs en 1764, permet de remonter le fil de l'histoire. Le sultan avait fait travailler un architecte français retenu prisonnier, Théodore Cornut, pour qu'il dessine le nouveau plan urbain. Satisfait du mélange de style français et de style chérifien réalisé par Cornut, il a baptisé la ville Essaouira, soit «la bien conçue».

Comme Cornut avait précédemment dessiné la ville de Saint-Malo, Essaouira, avec ses remparts crénelés, ses archères et ses canons, est née avec des airs de port fortifié breton. Les villes de Saint-Malo et d'Essaouira sont d'ailleurs jumelées.

Photo: Éric Clément, La Presse

Marchand de fraises à Essaouira.

Dans ce musée, on admire des poteries, de vieilles monnaies et amphores, des costumes traditionnels, des tapis berbères, des instruments de musique, de la marqueterie en bois de thuya incrusté de nacre, d'or et d'os de chameau, des meubles, des planchettes coraniques, des manuscrits, des objets de la culture juive et des armes.Pour les amateurs de bains de vapeur, il y a plusieurs hammams dans la médina. Le bain maure Pabst, créé en 1336, est connu pour avoir été fréquenté par Orson Welles, qui y a même tourné une scène de son film Othello (Palme d'or à Cannes en 1952).

Le jour, ce hammam accueille les femmes. Les hommes, c'est après 21h. Pour ceux qui craignent les hammams populaires, l'hôtel Atlas, boulevard Mohammed V, dispose d'un spa splendide. On peut s'y rendre juste pour un bain ou s'offrir massage et autres soins.

Il faut également visiter la galerie Damgaard d'Essaouira, qui expose les oeuvres originales de peintres formant une école bien à part au Maroc: pas d'orientalisme, ici, mais un mélange d'art naïf et d'influences à la fois berbères, noires et arabes.

La fête à la mer

S'il fait beau, la plage de sable d'Essaouira, immense, est incontournable. Pas très entretenue l'hiver, on dit qu'elle est impeccable l'été. Des citoyens s'occupent en tout cas de la nettoyer tous les jours en venant récupérer le bois qui s'y échoue.

La mer est très agitée à Essaouira à cause des alizés. On peut donc faire du surf et du surf cerf-volant. Une étape du Championnat du monde de surf cerf-volant a eu lieu en décembre et une étape se tiendra du 7 au 11 juillet prochains.

Si vous venez au printemps, ne manquez pas la fête de la confrérie des Regraga qui fait le tour des villages (un daour) pour apporter la baraka (bénédiction de Dieu) et commémorer l'islamisation de la région par les premiers porteurs du Coran.

Photo: Éric Clément, La Presse

Essaouira et ses remparts

Le premier jeudi du mois d'avril, les Regraga sont accueillis à la porte Bab Doukkala d'Essaouira, où les Souiris les aspergent d'eau de rose. Les femmes d'un village voisin préparent ensuite un immense couscous. En mai, c'est au tour du moussem (fête annuelle) des Hamadcha, autre confrérie musulmane, où on chante, danse et sacrifie des taureaux.

Le régal de la cuisine

Certains petits restaurants de la médina valent le détour. J'ai mangé un succulent tajine au poulet et aux pruneaux au Salma, au coin des ruelles Jbala et Abdelaziz El Fechtaly. Le patron, Bouzari Abdelghani, m'a aussi servi un délicieux lait de banane et amandes. Le tout pour 6$.

Si les pêcheurs ont pu sortir en mer, vous pourrez manger du poisson grillé à l'entrée du port (vers 15 h, c'est tranquille) ou, sinon, vous rendre au lieu incontournable de la gastronomie d'Essaouira, Le chalet de la plage. Tenu par «Jeannot», Khaled Ben Ghadda, rois, présidents et artistes du monde entier visitent le lieu depuis 1893.

J'y ai mangé des sardines grillées, des huîtres, des oursins, des gambas et un énorme calmar farci au riz. «Notre réputation, c'est ce qu'il y a dans l'assiette», m'a dit Jeannot.

Activités extérieures

Quelques visites à l'extérieur du port sont intéressantes, notamment celle du vignoble de Val d'Argan, à Ounagha, à 25 km d'Essaouira. Un vigneron français, Charles Mélia, y produit depuis 10 ans une dizaine de vins sur 32 hectares de vigne. Les vendanges commencent à la fin du mois de juillet.

Près du Val d'Argan, le village de Had Bra organise un souk chaque dimanche. Celui qui se tient à la fin du daour des Regraga, fin avril, est spectaculaire, avec vente de chameaux et fantasia, course de chevaux dans la poussière avec coups de fusil rituels.

La visite d'une coopérative féminine de fabrication de l'huile d'argan (pour les cosmétiques et pour la cuisine) est également instructive. La coopérative Afra est à Douar Mssassa, à 15 km d'Essaouira.

L'avenir d'Essaouira

Le port d'Essaouira est promis à de grands changements. Le roi Mohammed VI et son conseiller André Azoulay veulent moderniser la ville. Dans le cadre du Plan azur du Maroc (un partenariat public-privé), le projet Station Mogador est en train d'être réalisé aux portes de la ville: deux parcours de golf, grands hôtels, auberge, etc. De plus, la pêche n'étant plus aussi lucrative qu'avant, le petit port pourrait même être remplacé par une marina de voiliers.

Comme la route des alizés reliant l'Europe et l'Afrique aux Caraïbes passe par Essaouira, une marina serait un atout touristique. Il vaut donc mieux se dépêcher de rendre visite au vieux Breton berbère avant que la magie laisse la place à un Varadero marocain.

Repères

Essaouira est à 350 km au sud de Casablanca et à 175 km à l'ouest de Marrakech.

Population: 96 000 habitants

Température douce l'été (entre 17ºC et 28ºC)

Pour s'y rendre

Royal Air Maroc assure des vols Montréal-Casablanca-Essaouira: cinq vols par semaine en hiver et dix vols par semaine en été.

Le jeudi et le samedi, il y a une correspondance le même jour pour Essaouira. Le tarif aller-retour pour Essaouira via Casablanca est d'environ 650$ plus taxes en basse saison et peut aller jusqu'à 1100$ plus taxes en été.

On peut également, de Casablanca, prendre le train pour Marrakech puis l'autocar pour Essaouira. On peut aussi louer une auto à l'aéroport de Casablanca. Il faut compter environ 400$ pour une semaine. Avec votre auto, si vous visitez des villes, n'oubliez pas que la voiture est parfaitement en sécurité si on la gare dans une rue surveillée par un gardien. Pour quelques dirhams, vous pouvez vous promener l'esprit tranquille. On donne l'argent quand on revient à l'auto seulement.

Où manger

- Restaurant El Minzah

3, av. Oqba Ibn Nafia

Essaouira

Tél.: 024-47-53-08

- Restaurant Le Chalet de la plage

Avenue Mohammed V

Tél.: 05-24-47-59-72

- Restaurant Salma

Coin des ruelles Jbala et Abdelaziz El Fechtaly

Tél.: 06-66-39-56-27

Les festivals

- Festival Gnaoua et musiques du monde, fin juin

www.festival-gnaoua.co.ma

- Printemps musical des alizés, du 29 avril au 1er mai

www.alizesfestival.com

- Festival des Andalousies atlantiques, en novembre

- Premier Festival de jazz, en septembre

À visiter

- Galerie Damgaard

Av. Oqba Ibn Nafia

www.galeriedamgaard.com

- Tissage traditionnel sur métier jacquard

Boujemâa el Bour

131 bis, rue Chbanat, médina

Essaouira

Tél.: 06-60-85-55-00

- Coopérative féminine Afra

Fabrication de l'huile d'argan

Douar Mssassa, km 15

Route Essaouira-Marrakech

Tél.: 212-06-61-90-46-17

- Golf de Mogador

www.golfdemogador.com

- Les vins de Val d'Argan

Ounagha, km 35

Tél.: 212-06-60-24-18-93

d.valdargan@menara.ma

- Galerie-salon de thé L'Arbre bleu

233, rue Chbanat, Essaouira

www.galerie-arbrebleu.com

- Synagogue Haïm Pinto

Tél.: 212-06-76-04-83-52

- Spas de l'hôtel Atlas Hospitality

Boulevard Mohammed V

Tél.: 212-05-24-47-99-99

www.spa-danieljouvance.com

- Riad al Madina

9, rue Attarine

Tél.: 212-05-24-47-59-07

www.riadalmadina.com

- Librairie-galerie Aïda

2, rue de la Skala

Tél.: 212-05-24-47-62-90

Ce reportage a été réalisé grâce à l'aide de Royal Air Maroc et de la Délégation provinciale du tourisme à Essaouira. 

Photo: Éric Clément, La Presse

Magasin de tapis dans la médina.