À eux seuls, leurs noms font rêver: Benimatou, Indelou, Tireli... Perchés en haut de l'imposante falaise de Bandiagara ou lovés au pied des rochers, dans la savane, ces villages du Mali nous invitent à une plongée ethnologique fascinante. Bienvenue chez les Dogons.

Nous marchons depuis deux bonnes heures dans un paysage de pierres rouges et d'herbes séchées. Soudain, Ali, notre guide, nous arrête. «Écoutez», dit-il. En tendant l'oreille, nous distinguons le roulement lointain des tambours. Le temps de traverser une sorte de plaine rocailleuse, et nous voici à Benimatou.

 

C'est jour de Noël et le quartier chrétien de ce village dogon encastré entre de hautes parois rocheuses est en fête. Les villageois dansent en cercle entre leurs cases surmontées de toits de chaume. Ils tapent des mains en scandant «Alléluia!»

Pendant que le jour tombe sur cette célébration un peu surréaliste, nous nous rendons dans la partie musulmane du village pour y installer nos pénates. Nous dormirons sous une simple moustiquaire installée sur le toit d'une maison en banco - cette glaise entremêlée de paille qui sert ici de matériau de construction.

Dans le village, les femmes transportent leurs impressionnantes charges sur la tête, un bébé accroché dans le dos. Elles vaquent à leur travail incessant. Tout autour de nous, les montagnes sont incandescentes sous le soleil déclinant.

 

Photo: Agnès Gruda, La Presse

Quelque 700 000 Dogons vivent dans plus de 200 villages au Mali.

Un voyage dans le temps

On dit que les Dogons sont arrivés au Mali autour du XIVe siècle, pour fuir l'islamisation. Au fil des ans, ils ont construit des villages accrochés aux rochers de la falaise où ils se sentaient à l'abri d'éventuels ennemis.

Avec la colonisation française, la région est devenue plus sûre, et les Dogons ont peu à peu abandonné leurs installations vertigineuses à flanc de montagne pour s'établir en haut ou en bas de la falaise de Bandiagara - une formation rocheuse qui s'étire sur 200 km, dans le sud du Mali.

Aujourd'hui, quelque 700 000 Dogons maliens vivent dans plus de 200 villages, distants de quelques kilomètres les uns des autres. L'islam a fini par faire son chemin dans les esprits, mais il y a aussi des Dogons chrétiens et d'autres carrément animistes. Cela dit, les religions «modernes» ne forment souvent qu'un mince vernis sous lequel survivent les croyances anciennes. Certains de ces villages ne sont accessibles qu'à pied, d'autres peuvent en jeep, par des chemins défoncés. L'isolement de ces communautés est tel que certaines parlent un dialecte incompréhensible à l'extérieur du village...

Partis de la ville de Bandiagara en 4x4 avec guide et chauffeur, nous avons abandonné le véhicule dans le petit village de Douro. Puis, nous avons commencé notre marche. Quatre jours plus tard, nous avions l'impression d'émerger d'une machine à voyager dans le temps. Elle nous avait conduits vers une époque où les esprits parlent dans le noir et où des rituels anciens continuent à marquer la vie des gens.

Photo: Agnès Gruda, La Presse

Esprit, es-tu là?

Notre premier choc culturel nous a surpris dès la visite du village de Douro, où notre guide nous a donné un aperçu de l'organisation sociale de ses compatriotes, les Dogons.

«Voici la case à palabres», a-t-il dit en montrant une construction basse surmontée d'une épaisse couche de paille.

Cette case sert à l'administration de la justice traditionnelle chez les Dogons, a expliqué Ali. Le suspect est invité à confesser son crime sous ce plafond bas qui l'invite à se tenir tranquille: s'il devait se lever d'un coup, il se cognerait la tête...

Le voleur qui avoue son délit sera la honte de sa communauté, a poursuivi expliqué Ali. Celui qui se rabat sur un mensonge, lui, mourra, tué par les esprits. Selon notre guide, ce système de justice, qui existe encore même s'il tombe progressivement en désuétude, a un grand effet dissuasif et explique le bas taux de criminalité chez les Dogons.

«Tu veux dire que les gens ont peur d'être tués par les esprits? demandons-nous avec toute notre naïveté de Blancs.

- Non, non, répond Ali, je veux dire que les esprits vont vraiment les tuer...»

Du coup, nous comprenons que nous devons mettre notre rationalité au vestiaire. Le reste de notre parcours nous permettra d'approfondir les coutumes des Dogons. Traditionnellement, les villages étaient dirigés par des chefs spirituels appelés «hogons». Chaque hogon possédait sa tortue, censée tester sa nourriture et éviter qu'il ne s'empoisonne. Aujourd'hui, il ne reste plus qu'une poignée de hogons. Mais leurs tortues au chômage continuent à déambuler au milieu des villages.

Tout village dogon possède une termitière, lieu des sacrifices. Une «guinna», maison ancestrale du fondateur du village, garnie de symboles où l'on peut décoder le nombre de ses descendants et ses ramifications familiales. 

Photo: Adnès Gruda, La Presse

Les Dogons tiennent chaque année une danse sacrée des masques, personnifiant entre autres le dieu Kananga.

Les forgerons

Une subtile hiérarchie orchestre la vie des villages dogons. Au sommet, il y a les forgerons. Ils travaillent le métal, bien sûr, en chauffant le feu à l'aide de soufflets en peau de chèvre. Mais ils sont aussi responsables des circoncisions, savent fabriquer des fusils rudimentaires et faire les tresses rituelles sur la tête des nouveau-nés.

Dans sa case à Indelou, le forgeron nous a montré le dernier fusil de sa fabrication. Il y a mis une poudre dont il a le secret. Quand il a appuyé sur la détente, l'écho de l'explosion a rebondi contre les rochers.

Parlant de circoncision: un des villages que nous avons traversés, Songha, organise ce rituel collectif tous les trois ans.

Une trentaine d'adolescents doivent alors subir sans broncher l'ablation de leur prépuce. Les peaux coupées sont ensuite écrasées avec de la terre, formant une substance qui sert à peindre des symboles familiaux sur les rochers.

Pendant trois semaines, les garçons restent à l'écart du village, avec les «vieux sages». Le dernier jour, ils doivent se livrer à une course. Le gagnant reçoit un lopin de terre. Le deuxième une femme. Et le troisième, une vache...

Ali, notre guide, nous a révélé ces fascinants détails au fil des jours, alors que nous marchions dans les villages, les rochers ou la savane. De temps en temps, nous nous arrêtions devant des femmes qui fabriquaient la teinture dont elles allaient colorer leurs «bogolans» traditionnels. Ou des hommes et des garçons en train de mouler les briques de banco dans la glaise.

À un moment, j'ai pensé que le jour où notre civilisation technologique fera naufrage, nous devrons tous venir nous réfugier ici, dans ces villages dont les habitants savent fabriquer de la teinture, des briques et de la poudre à fusil...

Photo: Agnès Gruda, La Presse

Ciel d'Afrique

Ce n'est pas pour rien que l'UNESCO a fait de la falaise de Bandiagara un de ses sites protégés. Cette formation qui s'étire sur quelque 200 km, dans le sud-est du Mali, offre des points de vue saisissants sur des rochers dont la couleur se modifie à mesure que la journée avance.

La randonnée entre les villages implique quelques descentes et montées vertigineuses, où l'on doit parfois chercher pied sur des échelles taillées à même des troncs d'arbres.

Le soir, les villageois nous accueillent avec leurs longues salutations dans la langue locale... La famille, ça va? Les enfants, ça va? Votre maman a bien dormi?

Puis, ils nous offrent le couvert et le gîte. Riz ou couscous au poulet pour le premier, matelas et moustiquaire sur un toit pour le second.

Ouvrir les yeux pendant une nuit fraîche sur ce ciel d'Afrique tapissé d'étoiles, c'est formidable... Nous avons vécu là des moments de pur ravissement.

À la découverte du pays dogon

Comment s'y rendre

>Les randonnées au pays dogon commencent généralement à Bandiagara ou à Mopti, villes maliennes que l'on peut joindre en auto ou en bus depuis la capitale, Bamako, ou encore à partir du Burkina Faso. Les déplacements en bus sont éprouvants, mais présentent l'avantage de nous plonger dans la culture locale.

Guide ou pas?

>Le succès d'une randonnée au pays dogon tient beaucoup au choix du guide. Le nôtre était dogon, parlait quatre ou cinq des principales langues locales, et prenait un grand plaisir à nous faire découvrir les secrets de la culture de ce peuple. Le soir, nous avions même droit à notre conte dogon quotidien. Nous avons trouvé notre guide dans une agence de voyage voisine de l'hôtel «Y a pas de problème», à Mopti.

Le confort

>Les villages dogons n'ont ni l'électricité ni l'eau courante. Les «douches» consistent généralement en un réduit derrière un mur de banco, garni d'un seau d'eau et d'une écuelle. Les toilettes sont à l'avenant. En revanche, on trouve de l'eau embouteillée partout. Et parfois même une boulangerie et des baguettes...

Dans les environs

>Si vous rejoignez le pays dogon depuis la capitale malienne, Bamako, quelques villes méritent un arrêt. Ségou, avec son port sur le Niger et ses marchés d'artisanat. Djenné, avec sa mosquée de banco protégée, elle aussi, par l'UNESCO. Et l'incontournable Mopti, une ville portuaire bruyante, agressante et fascinante, située au confluent de deux fleuves, le Niger et le Bani.