Sur le chemin qui trace l'histoire de la Shoah, Cracovie constitue pratiquement un passage obligé: de là, on se rend à Auschwitz par bus en une petite heure. Mais le voyageur qui ne la considère d'abord que comme une simple étape se rend vite compte que cette ville universitaire, pleine de vie et de jeunesse, a beaucoup à offrir.

Outre le château Wawel et sa cathédrale, où se pressent les touristes, l'architecture de Cracovie, raffinée, splendide, miraculeusement préservée des pillages et des destructions qu'ont subis d'autres villes d'Europe, émeut et fascine.

Les murs noircis des églises et des immeubles baroques ou Renaissance, souvent laissés à l'abandon par le régime communiste pour cause de trop de beauté, gardent aussi de nombreuses cicatrices de la Deuxième Guerre mondiale. Néanmoins, cet air de décrépitude cache des trésors inouïs, et c'est peut-être cette patine même, cette authenticité, et aussi l'espèce de joyeuse anarchie qui semble régner ici, qui rend Cracovie si attachante.

Au coeur de la vieille ville, la grand'place (Rynek Glowny, la plus vaste d'Europe) laisse pantois. Dallée de blanc, immense, bordée d'innombrables cafés, toujours animée, elle résonne du pas des fiers chevaux qui, attelés par deux, tirent d'impeccables fiacres pour les touristes. Au centre, la très ancienne halle aux draps, aussi belle qu'une cathédrale, abrite désormais des boutiques de souvenirs - ambre de la Baltique et broderies traditionnelles, notamment.

Point de départ de toutes les promenades dans la vieille ville, la place est aussi le lieu idéal pour écluser une bière en observant les passants ou, mieux encore, pour goûter un chocolat chaud chez E. Wedel. Délectable, riche, onctueux, presque du chocolat pur fondu, c'est bien le plus décadent qui soit.

Le quartier juif

Impossible de visiter Cracovie sans une promenade dans les étroites rues du vieux quartier de Kazimierz. Laissé à l'abandon après la Shoah, qui a emporté la plupart des quelque 68 000 juifs qui y vivaient, il renaît doucement. On n'y compte plus guère qu'une ou deux centaines de juifs pratiquants, mais Kazimierz attire de plus en plus d'intellectuels et d'artistes. Son adorable petite place ronde où se pressent des marchands de tout, ses maisons modestes aux couleurs passées, ses synagogues (dont l'une, la plus ancienne, a été convertie en musée de l'histoire juive) et ses émouvants cimetières font de ce quartier, où Spielberg a tourné La liste de Schindler, un poignant lieu de mémoire, triste mais nécessaire prélude à la visite d'Auschwitz.

Humour polonais

À Cracovie, une agence propose un tour des hauts lieux du communisme en Trabant, ce célèbre tacot est-allemand. L'itinéraire comprend une visite à Nowa Huta, un quartier érigé dans toute la splendeur de l'architecture soviétique autour d'une aciérie. Ce projet était destiné à mêler un peu de prolétariat aux habitants de Cracovie, trop intellectuels et catholiques au goût des autorités. Le prospectus explique qu'on finit la balade avec une visite chez un «expert en vodka et authentique vestige du régime communiste, pour autant que ce dernier ne se soit pas saoulé à mort».

Il est vrai que la vodka bon marché et la bière à 5 zlotys le demi-litre (soit un peu plus de 1,50 $) semblent faire bien des dégâts chez les aînés de Cracovie... On voit beaucoup de gens terriblement ravagés par l'alcool, ou par une vie difficile (ou les deux), affalés sur les bancs des parcs.

Voyage tout confort

Il ne faut pas croire les mauvaises langues et les guides suspicieux qui déconseillent le train de nuit Prague-Cracovie sous prétexte que les vols y sont endémiques. Moyennant une centaine d'euros, deux personnes voyageront en tout confort dans un compartiment privé dont il suffit de verrouiller la porte pour s'assurer une totale paix de l'esprit. Dans les couchettes garnies d'une couette et d'un drap aussi frais qu'immaculés, on dort du sommeil de l'innocent jusqu'au matin, qui nous voit débarquer frais comme une fleur à la gare de Cracovie.