Voir Cuba avant que les Américains ne débarquent: voilà une idée répandue dans l'esprit de bien des voyageurs.

«Il faut visiter cette ville avant que l'administration Obama ne lève l'embargo qui empêche les Américains de visiter l'île», écrivait il y a cinq ans le chroniqueur du Soleil Gilbert Lavoie. Il aura fallu une ouverture des États-Unis à l'égard du régime communiste pour exacerber ce sentiment et faire naître dans les esprits des images de Starbucks et autres McDonald's à tous les coins de rue de La Havane.

«J'ai déjà pensé de la sorte, je me dépêchais d'aller voir le Cuba original avant que ça ne soit corrompu par la présence américaine, dit Nathalie Gravel, professeure agrégée au département de géographie de l'Université Laval. Mais de là à se dire qu'il y aura des commerces américains... il faudrait que les Américains puissent acheter des terres, et ce n'est pas demain la veille.»

Des visites simplifiées

Malgré la réouverture de l'ambassade des États-Unis à La Havane en 2015, l'embargo tient toujours. Les Américains qui se rendent à Cuba ne sont pas, officiellement du moins, des touristes. Les assouplissements faits par l'administration Obama ont toutefois simplifié les visites des Américains dans l'île communiste, tant qu'ils «entrent» dans l'une ou l'autre des 12 catégories, parmi lesquelles figurent les visites familiales, les activités éducatives, le soutien au peuple cubain ou encore les activités journalistiques.

En mai dernier, un navire de croisière en provenance des États-Unis a accosté à Cuba, une première en un demi-siècle. Quant aux vols commerciaux, ils ont également repris et relient désormais certaines grandes villes américaines à plusieurs régions de l'île.

En 2015, Cuba a reçu plus de 160 000 visiteurs en provenance des États-Unis, en hausse de 76 % par rapport à l'année précédente.

Dans le restaurant de Mathieu Royer à La Havane, on entend davantage de français et d'espagnol que d'anglais. «Il y a toujours eu du tourisme américain», dit le propriétaire du restaurant Sia Kara, quand on évoque avec lui la question. 

«La différence avec les touristes américains, c'est qu'ils boivent des mojitos avec du rhum de 20 ans d'âge. Ils ont un grand pouvoir d'achat.»

Il faut voir plus loin que la relation de Cuba avec les États-Unis pour parler de changements à Cuba, dit pour sa part Nathalie Gravel. «Il y a un autre joueur plus important que les États-Unis, c'est la Chine, qui place ses pions dans l'économie cubaine. Il y a quelques années, j'ai pris l'avion en même temps que des gens d'affaires chinois qui revenaient d'une mission commerciale. Un homme d'affaires prévoyait que, d'ici peu, il serait capable d'ouvrir un supermarché à Cuba.»

Reste que la perception est forte. Ce sont souvent les Américains eux-mêmes qui, en constatant l'ironie de la chose, disent qu'ils sont venus visiter Cuba... avant que leurs compatriotes ne débarquent!

PHOTO Martin Chamberland, LA PRESSE

Dennis Milo et Richard Racy