Certaines initiatives de tourisme durable devraient non seulement inspirer le monde du tourisme, mais aussi le reste de la société. Dans la région de Djenné, les responsables de l'initiative Nogondeme doivent passer pour des hurluberlus. Mais, lorsqu'ils auront leur propre centre de santé et que tous leurs enfants iront à l'école, peut-être que d'autres aussi comprendront...

Nogondeme, ou «solidarité» en langue bambara, a été mis sur pied par des Africains pour assurer l'avenir de leur village, appelé Sirabougou. Un village original, divisé en trois parties, avec trois ethnies qui, non seulement, cohabitent en paix, mais se complètent de façon naturelle, grâce à l'expertise traditionnelle de chacune d'entre elles: la pêche est réservée aux Bozos, l'élevage aux Peuls et l'agriculture est le domaine des Bambaras.

À Sirabougou, très loin de la route, il ne s'agissait pas simplement de bâtir un campement et de compter les sous après le passage des touristes: il fallait impliquer toute la population pour éviter les effets pervers du tourisme, et ainsi proposer un lieu différent. Et du même coup, les touristes, habitués à cette mécanique néfaste, devaient être éduqués à leur tour: on a donc conçu une charte, qui s'adresse autant aux visiteurs qu'aux habitants, dans laquelle est clairement énoncée la vision durable du projet (un document qu'on peut consulter sur voyage-en-solidaire.com). Vous verrez, c'est un truc tout simple, mais qui, lorsqu'il est respecté, fait des miracles. Toutefois, ce n'est pas instantané! Aux réunions, des habitants se sont levés et ont crié leur indignation:

«Pourquoi, quand les touristes prennent des photos ailleurs au Mali, ils payent, et pas ici?

«Pourquoi on ne peut pas demander de cadeaux?»

Rapidement, la situation s'est éclaircie. Lorsque l'argent des visiteurs a permis aux enfants d'avoir des cahiers et un professeur à temps plein, lorsqu'on a pu forer un nouveau puits d'eau potable et lorsque des touristes sont revenus une deuxième, puis une troisième fois pour profiter de ce paisible endroit, les gens ont compris. Moi, je n'avais jamais vécu une expérience semblable, en Afrique...

L'équipe de tournage de Partir autrement est repartie à Montréal. Et je suis resté. J'étais incapable de quitter Sirabougou. Je n'avais pas terminé: il fallait que je vive l'envers du décor.

J'avais le sentiment que c'était le genre d'endroit où je pourrais prendre racines si on m'offrait une petite case et un lopin de terre, si on me donnait quelques heures par semaine pour enseigner l'anglais ou le français aux jeunes et du temps pour jardiner, apprendre un peu le peul et, surtout, pour observer les oiseaux...

Parce que dans le domaine aviaire, je vous assure qu'on est gâté par la nature!

J'ai vu des guêpiers fantastiques (à gorge rouge, écarlate et d'Orient, mon favori), des souïmangas multicolores, des hérons (ardoisé, pourpre, strié ou Squacco), des vanneaux désagréables (comme la police, ils avertissent les autres oiseaux de votre présence!), un couple de rares pics gris, des tonnes d'hirondelles, de calmes martins-pêcheurs, un camaroptère à tête grise, au moins 10 gonoleks de Barbarie (ou toujours le même?), un bruyant piapiac africain sur le cul d'un mouton, deux gracieuses veuves nigériennes au coucher du soleil, tous les choucadors, le coucal du Sénégal, le combassou du Sénégal, le rolle violet, la huppe fasciée, le perroquet youyou, le touraco gris, le capucin nonette, l'euplecte franciscain (ce petit gros un peu ridicule, on se demande comment il peut voler), le pluvian fluviatile sans son crocodile, des traquets bruns ou au ventre roux, le colombar waalia, l'agrobate podobé, le cordon bleu, sa femme, le vautour charognard et un lot d'oiseaux de proie qui volent trop haut, des tisserins et des mahalis à ne plus savoir les compter, des coucous, des calaos, des cormorans, le francolin à double éperon, l'amarante du Sénégal et peut-être même l'amarante de Kulikoro, dont on dit qu'elle est l'unique espèce endémique du Mali...

Mais, je n'étais pas rassasié. Alors, je me suis installé dans la famille de Samba Bah, directeur de l'école de Sirabougou. J'ai accroché ma moustiquaire sur son toit. C'est brillant, je me suis dit: qui a besoin d'un hôtel cinq étoiles quand on peut dormir sous la Voie lactée...

Sauf que le premier soir, je me suis endormi tard. Très tard... Après le défilé des enfants, qui criaient, de porte en porte, en tapant avec des bouts de branche sur des casseroles. Biding badang pendant des heures! Je vous le jure!$%! #@*... Et moi qui croyais que ça allait être tranquille...

«Ils font ça tous les soirs?

- Non. Tous les deux soirs. Ils collectent du mil pour préparer le festin qui marquera la fin du ramadan.

- Chouette...»

Oui, on était en plein ramadan. Et c'est une autre raison pour laquelle je suis demeuré avec mes amis musulmans d'Our. J'avais tenté l'expérience du carême au Yémen, et j'avais beaucoup aimé l'ambiance communautaire, festive et un peu délirante de ce mois de jeûne. À Sanaa, on ne dormait pas de la nuit!

Ici, c'est vraiment bien parti.

Photo: Bruno BLanchet, collaboration spéciale

Le «penthouse» de Bruno Blanchet à Sirobougou.