Voici l'histoire incroyable d'hommes et de femmes assiégés, qui voulurent échapper à l'envahisseur et qui trouvèrent une solution originale.

« On va aller là où personne n'a envie d'aller.

Pourquoi?

Parce qu'on ne se fera plus achaler.»

Alors, ils ont marché pendant des lunes, jusqu'à une falaise casse-cou, où l'eau était aussi rare que les terrains fertiles. Ils y ont grimpé tant bien que mal et s'y sont installés, pour vivre en paix, pendant des siècles. Ils ont appelé ça le pays dogon: un endroit qui demeure encore aujourd'hui d'un anachronisme ahurissant.

« Et durant les menstruations, les femmes doivent quitter le village... Parce qu'elles sont impures!»

Le grand homme, le sage, il est appelé le Hogon. Souvent le plus âgé du village, il est nommé pour le restant de sa vie. Il sera consulté pour toutes les affaires importantes de la communauté. Et plus personne ne pourra le toucher. L'homme ne se lave plus. Chaque repas qu'il mange doit être goûté par une tortue sacrée avant de lui être servi. Il vit reclus, dans une toute petite grotte, dans laquelle, à part lui, seuls un serpent et une vierge ont le droit de pénétrer: la vierge pour le servir, et le serpent pour le laver. Parce que, chaque nuit, un serpent vient nettoyer le corps du Hogon...

Vous me suivez toujours?

Je sais ce que vous pensez: «Un serpent qui nettoie quelqu'un? Voyons donc, c'est ridicule!»

Et vous n'avez pas tout à fait tort. Car, selon les dires du Hogon: «Ce n'est pas un serpent ordinaire: ce sont les âmes de tous mes ancêtres qui se réincarnent dans un corps de serpent pour venir me laver.»

Je vous assure qu'on est loin de la débarbouillette.

Et pour faire une histoire courte, il est arrivé à ces mystérieux indigènes ce qui devait arriver: ils furent découverts par l'Occident. Et maintenant, l'envahisseur est blanc, se déplace en 4x4 et ramène de belles photos.

« Ils boivent cette eau-là...

Hum. Il doit y en avoir, de la mouche, hein?

Mets-en.»

Et ils achètent des t-shirts, des sculptures et des masques.

« C'est une face de lapin?

Ouain, c'est comme un animal sacré, là-bas. Mais ils le mangent.

Pourquoi?

Parce c'est bon, avec des oignons.»

Et leur falaise est en passe de devenir une grande boutique de souvenirs, où les enfants vous poursuivent en criant «cadeau» ou «bonbon». Comment les blâmer? Des tas de touristes irresponsables se baladent ici avec les poches pleines de sucreries...

«Venez les jeunes, n'ayez pas peur!»

L'homme distribuait des bonbons comme si c'était l'Halloween. Par hasard, nous étions ce matin-là avec un responsable du tourisme malien. Il s'est avancé vers l'homme et lui a dit que ce n'était pas un geste correct.

«Si vous voulez donner aux enfants, monsieur, il faut donner à l'école.»

Et le mec de répliquer, effrontément:

«Quoi? Faut que je donne mes bonbons à l'école?»

Gros con, va.

Même les guides officiels et les chauffeurs trouvent que la situation est devenue intenable. Tout se marchande désormais à gros prix au pays dogon, et si t'as le malheur d'embourber ton véhicule... Sors les billets verts, mon grand! Sinon, personne ne t'aidera.

«Un soir, on m'a demandé 100 000 CFA (200 $) pour pousser la voiture! m'a raconté Adama, le chauffeur, les yeux écarquillés, avant d'ajouter: C'est pas le Mali, ça!»

Alors, brûlé, le pays dogon?

Non! Au village de Youga Nah, un groupe d'irréductibles Dogons résistent encore et toujours à l'envahisseur. Ils ont construit un campement. Une initiative qui vise à encourager un séjour prolongé sur la falaise. Et le résultat est étonnant. Autour, on reconnaît déjà moins les problèmes liés au tourisme de passage. Le rapport avec les habitants est plus sain. Ils savent qu'ils en bénéficieront tous, que ce soit par l'amélioration des pistes, la qualité de l'eau ou les frais de scolarité: parce qu'ils ont tous été consultés.

Et je vous jure que ça vaut vraiment la peine de rester dans un village dogon comme celui de Youga Nah. On comprend un peu plus le mysticisme de ce peuple, après avoir passé plusieurs jours dans leur paysage mystérieux... Il y a quelque chose de magique ici.

Un matin, je me suis éloigné du village pour observer les oiseaux. J'étais seul. Du moins, je le croyais. Elle est alors apparue. La vieille... Comme sortie de nulle part! J'avais le dos à la falaise. Pas d'issue possible.

Elle s'est avancée lentement. Courbée, un tissu déchiré autour de la taille, elle marchait comme un zombie; ses cheveux gris étaient dénoués, en bataille; ses seins plats comme des oreilles d'épagneul lui pendaient sur les genoux, et ses bras longs et maigres étaient tendus vers moi... Brrr! On aurait dit la sorcière qui sort de la douche, dans le film The Shining.

J'avais un peu peur. Elle m'a pris les mains... J'ai fait «bonjour?» Elle a souri. Elle n'avait plus qu'une seule dent.

Et elle m'a dit: «Bonbon!»

Photo: Bruno Blanchet, collaboration spéciale

Au pays dogon, au Mali