On les imagine arpentant la ville comme des robots, le téléphone vissé  l'oreille, toujours en train de brasser des affaires. Mais, contrairement à ce qu'on pourrait croire, les Tokyoïtes ne parlent pas ou très peu au téléphone cellulaire: des messages affichés un peu partout leur conseillent même d'éteindre la sonnerie et d'éviter de jaser au téléphone dans les endroits publics, dans le métro ou le train, afin de ne pas gêner le voisin! Et pas besoin d'interdire au Japon: rien qu'à suggérer. Les Japonais obéissent.

Et ils textent.

Et ils textent.

Et ils textent.

Tout le temps. Partout. En marchant, en mangeant, en se parlant, au musée, dans l'ascenseur, au volant et maintenant, grâce aux nouveaux modèles «résistants à l'eau», même sous la douche, paraît-il! Génial, hein? Je suis certain que vous avez tellement hâte que vos ados fassent la même chose...

«S: Kes tu fai Ga?

G: Chu ds douche So. J m lave le jnou.

S: Aprai?

G: Laute jnou. Pi lé pieds.

S: Pi lé chvu?

G: Pi lé chvu à fin.»

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Chaque matin, autour du bassin dans le parc Ueno, les photographes de lotus, avec leur équipement assez sophistiqué pour photographier Vénus, viennent poser les trépieds pour capturer le moment précis où la fleur se déploie, au lever du soleil. Je ne sais pas comment vous expliquer, mais la scène est rassurante. À Tokyo, on n'est pas tous cloués sur le portable ou l'ordinateur. Qu'il est doux de s'asseoir près d'eux et de les regarder s'émouvoir devant une fleur... On sent d'ailleurs le retour à une mode simple et au look «petite maison dans la prairie» dans la capitale nippone. Go, Laura, go! Les femmes portent de grandes robes à petits motifs floraux, des sandales tressées et des sacs à main fantastiques dans lesquels on peut transporter un enfant de 6 ans tranquille. Par contre, le legging est toujours en vogue chez les jeunes adultes, et le style «je-suis-une-vampire-et-je-mets-du-sang-sur-mes-cornflakes» marche à fond chez les adolescentes; chez les garçons, on essaye de ressembler aux filles, et les hommes essayent de se ressembler entre eux.

Jamais vu autant de complets gris!

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Je marche beaucoup. Et pendant deux jours, je n'ai pas entendu un seul klaxon... C'est le tumulte, 24 heures sur 24, mais au fond c'est tellement calme et ordonné que chaque fois que j'entends une sirène de police hurler, je regarde au ciel et je cherche le monstre.

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Chaque année, l'édifice Sony du quartier de Ginza dévoile une nouvelle vitrine, pour un mois. Il s'agit chaque fois du plus chic aquarium d'eau salée auquel vous puissiez songer, avec des anguilles de jardin, un poisson-pierre rose, une anémone et Nemo, une murène géante, un requin violon et un mollusque brun, qui trouve même le moyen d'être joli. L'événement, qui coïncide avec la sortie des nouveaux produits, vous incite naturellement à parcourir les quatre étages du «show-room», et finalement, j'ose le prédire, à acheter du Sony dernier cri.

Cette année, les petits poissons accompagnaient la gamme des nouveaux produits 3D, seulement offerts ici. Sur un téléviseur plus grand que ma chambre d'hôtel, on diffusait un documentaire sur les crabes, dans une forêt de mangroves, en trois dimensions. En mettant les lunettes, on pouvait voir un homme ramer en chaloupe, comme s'il ramait dans la maison.

Excitant?

Hum. J'aime les chaloupes, je n'ai aucun problème avec les rameurs, et les crabes, et les mangroves. Mais, c'est plate en maudit en 3D. Il me semblait que cette technologie devait s'appliquer plus à des films d'action qu'à du documentaire animalier, non? Après, on va êtes pognés pour regarder Les lionnes en 3D, c'est ça?

Le 3D, c'est de la frime. C'est une peinture métallique sur un char sport. Ça flashe, le moteur gronde, et on s'en fout un peu qu'Einstein soit derrière le volant pour nous révéler la vraie nature de l'univers: on veut que le bolide déménage! On veut le recevoir dans la face! C'est tout! Et le gars en chaloupe qui parle de crabes, faudrait au moins qu'il explose...

Alors, j'ai joué au PS3, en 3D. Une course de jeeps à travers la jungle. Encore une fois, sur un téléviseur plus grand que moi. Plein la gueule! Mais, ce qui aurait pu être vraiment cool était plutôt désagréable pour les sens au bout d'une minute à peine: les objets bougent encore beaucoup trop vite pour la capacité du 3D, et autour de l'action, l'image vibre, c'est l'enfer...

Et c'est un mal de tête assuré.

Dommage. De la capitale de la technologie, j'ai le malheur de vous annoncer qu'il faudra patienter encore un peu avant de voir apparaître des étrangers, en trois dimensions, dans votre salon! En attendant ce grand jour, profitez encore un peu de ce «film dont vous êtes le héros», où les personnages sont réels, l'intrigue imprévisible et le 3D au point.

Tous les jours de l'année.

À partir de la semaine prochaine, les chroniques de Bruno Blanchet seront publiées samedi dans La Presse et mises en ligne lundi sur Cyberpresse.