Bangkok, centre-ville. Neuf heures du matin. Il fait déjà 31 degrés, avec un soleil fâché et un taux d'humidité de sauna gai. Je grimpe au 12e étage de l'immeuble Orakarn. J'ai dans ma pochette trois photos format passeport, mon carnet de vaccination, mon passeport, ma carte de crédit, de l'argent américain flambant neuf et je suis prêt à affronter les fonctionnaires. Je sors de l'ascenseur. Dans le corridor, je suis accueilli par un nuage de poussière.

Au lieu du réputé consulat de la République du Mali, porte 1205, je trouve un grand local vide. Une salle sans murs ni plafond. Communément appelée un chantier de construction... Les travailleurs thaïlandais se demandent sérieusement de quoi je cause, lorsque je leur parle de «la dame pour les visas».

«Viza? Mai loo!

-Pour la République du Mali? Le consulat? Il n'est pas ici?

-Mai khao jai.»

Vous ne comprenez pas.

Je vous explique, et c'est très simple : je suis dans la merde. Le temps vient de rétrécir d'un seul coup. Comme un t-shirt chinois à la buanderie.

Hier, la vie était belle. J'allais obtenir mon visa pour le Mali à Bangkok et rentrer doucement en Afrique, à temps pour le prochain tournage de l'émission télé Partir autrement en pays dogon. J'avais calculé que deux semaines étaient suffisantes ; avec un déplacement par étape, j'allais disposer de temps pour vous écrire, et j'étais serein... Dans le cas du consulat, je m'étais fié à une adresse que j'avais trouvée sur l'internet, et même si mes appels n'avaient pas obtenu de réponse, je me disais que, dans ces endroits-là, c'est un peu la norme de ne pas répondre au téléphone. Faut simplement se présenter en personne.

Mais là, y'avait personne...

Contactée d'urgence, Geneviève-Isabelle-du bureau-de-production-à-Montréal a découvert le pot aux roses : le consulat de la République du Mali a déménagé à Tokyo.

«Tokyo?!

-Ouais. Et ils proposent que tu envoies ton passeport par la poste.

-Pardon ?»

Envoyer mon passeport par la poste, c'est...

C'est non.

L'humain, en général et quoi qu'on en pense, est honnête et digne de confiance. C'est quand on le met bout à bout que, personnellement, je commence à douter de ses capacités. Surtout sur l'ensemble d'une région comme l'Asie et avec pour mission de faire circuler un petit document qui tient dans une poche.

Un petit document bien compliqué à obtenir. Un petit document rempli de souvenirs. Un petit document qui représente un peu toute ma vie.

Passé, présent et avenir.

Je l'accompagne.

***

Tokyo, Japon. L'immeuble était tellement propre que j'aurais pu manger sur le plancher de la salle de bains. Je n'osais pas mouiller le lavabo. Le sèche-mains était tellement puissant qu'on se serait cru dans un lave-auto: vous savez, quand les gouttes d'eau roulent sur le capot et qu'on dirait que les essuie-glaces vont s'envoler? Bref, ne faites pas comme Bibi: ne mettez que vos mains devant. Sinon, ça fait mal et c'est même pas comique.

Désormais, cerise sur le sundae, en addition au fameux petit bras mécanique qui sort du bol sous ton postérieur pour te laver la raie avec passion, on a ajouté à l'urinoir «le petit bras qui te la secoue» dans certaines toilettes d'édifices high-tech. Une fameuse invention! Pourquoi n'y avait-on pas songé avant?! Le principe est pourtant si élémentaire: quand tu as terminé ton pipi, tu déposes ta pinotte dans le petit anneau prévu à cet effet, et ça la serre.

«Zzzzzzzzziiiiiiiiiclic.»

Quand t'entends le clic, c'est parti. «Flicflic flacflicflicflacflacflac.»

Au début, le mouvement est un peu malaisé, le temps que la machine s'ajuste au poids et à la longueur ; mais après trois, quatre coups, généralement, elle trouve le bon rythme. Et ça fait «flicflac flicflac flicflac flicflac flicflac».

Des heures de plaisir?

L'intérieur de l'ascenseur était entièrement en miroir. En regardant dans un coin, je pouvais donc me voir de côté, en train de me regarder de face, et me voir de dos me regarder de côté me regarder de face, puis me voir de côté me regarder de dos me voir me regarder de face, et ainsi de suite, jusqu'à l'infini.

Quelle belle journée s'annonçait! Et je n'avais même pas fini de boire mon café. Un homme entre en me saluant.

«Konnichiwa!

-Konnichiwa toi itou !»

Il pèse sur le 0. L'ascenseur tombe. Si vite que les oreilles me bouchent, comme en avion. Une cloche nous signale l'arrivée au rez-de-chaussée et les portes s'ouvrent doucement, comme pour nous prévenir du danger.

Dans la rue, il y a un tourbillon de lumières, de néons, d'écrans vidéo et de piétons... C'est ahurissant! C'est la fameuse intersection de Shibuya. Celle qui avait étourdi Bill Murray dans le film Lost In Translation, de Sofia Coppola. Celle qui m'étourdit maintenant.

Et c'est ici que débutera notre très brève aventure au Japon. Premier rendez-vous : avec mon ami Hiroo, pour manger du poisson empoisonné.

Tant qu'à faire ça court.

Photo: Bruno Blanchet

Métro Shibuya à Tokyo.