La suite des aventures et du journal de bord de Bruno, à bord du bateau Professeur Molchanov :

JOUR 6Archipel des îles Orcades du Sud. Débarquement à Shingle Cove, dans l'île Coronation.

Les otaries à fourrure essayent de nous effrayer. Et elles réussissent ! C'est qu'elles peuvent être vraiment menaçantes, avec leurs crocs de vampire et leur étonnante agilité...

Delphine nous explique que ce sont de jeunes mâles qui s'exercent à des démonstrations de force, en vue d'éventuelles luttes territoriales. Autrement dit, en vue de protéger «l'être aimé». Or, le truc, lorsqu'un de ceux-ci fonce sur vous, c'est de rester sur place et de l'affronter : l'otarie s'arrêtera à 10 cm en grognant, à tout coup ! C'est un peu stressant, la première fois. La deuxième aussi. Surtout, ne jamais courir : parce qu'il vous mordrait le cul, et l'infection qui s'ensuit est terrible, à ce qu'on raconte...

Le plus important, c'est de ne pas se faire pogner en train d'embrasser sa blonde.

JOUR 7

On saute le jour 7.

JOUR 8

Hier, pour mon anniversaire, ils m'ont préparé un gâteau au chocolat en forme de manchot. C'était gentil. Mais nous ne l'avons mangé qu'aujourd'hui, au petit-déjeuner. Parce que je suis resté au lit toute la journée. Un mélange de gueule de bois, de mal de mer et de début de grippe. Un virus court à bord, et c'est à mon tour...

Les plaisirs de la promiscuité.

JOUR 9

Il y a deux salles à manger. Et maintenant, à quelques individus près, on trouve les «birdeurs» d'un côté et, de l'autre, les «non-birdeurs».

Je préfère manger avec les «non-birdeurs». Comme la motivation du voyage de chacun est différente, on est plus souvent surpris par les conversations.

Mais je préfère passer la journée avec les «birdeurs».

On arpente le pont, du matin jusqu'à la tombée de la nuit. Jumelles en main, on scrute l'horizon. Et on partage nos trouvailles en criant : «Océanite à 11 h !» ou «Cétacé droit devant !». Puis, on se réjouit, tous ensemble, de nos découvertes. En équipe.

Cela dit, la scission du grand groupe est de plus en plus manifeste. Et les commentaires se font plus sévères, d'un côté comme de l'autre.

«Birdeur» :

«Venir aussi loin pour lire des livres sur un bateau... C'est nul !»

«Non-birdeur» :

«Venir aussi loin pour voir des oiseaux... C'est débile !»

En vérité, si les «birdeurs» ne passaient pas des journées entières dehors, à guetter, tous les passagers restés à l'intérieur ne le sauraient jamais quand des dauphins sautent autour de la proue. Et si les «birdeurs» n'avaient pas les «non-birdeurs» à bord, qui ont payé le prix du billet comme eux, ce voyage n'existerait pas.

Voilà. C'est comme une petite société, avec des cigales et des fourmis.

Endurez-vous, maintenant.

JOUR 10

Troisième journée en Géorgie du Sud. Avant-hier, à cause du mauvais temps, on s'est contentés de remonter le fjord de Drygalski. Impressionnant, même dans la brume. Au loin, on a aperçu un iceberg en forme de Rocher percé... Au fait, qu'est-ce qui arrive à l'iceberg quand il a fondu ? *

Hier matin, on a débarqué à Gold Harbour et, dans l'après-midi, à Godthul. On a vu des rennes. Beaucoup de rennes. Une espèce animale introduite et nuisible, ici. Avis aux chasseurs, y'aura bientôt un méchant party.

Et, aujourd'hui, c'est la totale.

D'abord, courte escale dans la petite île Prion. Où les «birdeurs» retrouvent le sourire !

À cause du pipit de Géorgie du Sud, une espèce endémique. Oui, le pipit... C'est «cute», hein ? La particularité du pipit, c'est qu'il niche par terre. Et si on le trouve dans l'île Prion, c'est parce que, ici, il n'y a pas de rats.

La présence de rongeurs constitue un sérieux problème pour les îles australes et met en danger des espèces entières d'oiseaux : quand ils ne bouffent pas carrément les oeufs, ces bestioles grignotent leur chemin dans le corps de pauvres bébés albatros qui sont incapables de se déplacer, puis ils les bouffent de l'intérieur... Alors, quand une espèce comme le pipit de Géorgie du Sud survit à l'extinction, elle devient un petit miracle en soi.

Dieu soit loué, il y a un pipit juste à côté de l'endroit où l'on descend du Zodiac ! Les «birdeurs» comme les «non-birdeurs» se bousculent pour le photographier. Les commentaires sont variés.

«Enfin, depuis le temps que je rêve de cette espèce !

- Excellent ! Un autre «tick».

- Pff ! C'est juste un oiseau jaune !»

***

Puis, en après-midi, la cerise sur le pingouin : la plaine de Salisbury. L'odeur est intense, déjà, à 100 m de la rive...

Parce que sur la plage, nous attendent entre 60 000 et 100 000 paires de manchots royaux.

Comment on estime le nombre de manchots dans un espace donné ? C'est facile.

On calcule le nombre d'ailes et on divise par deux.

Et tout le monde est heureux.

*Tiré d'une «Liste de questions insolites de passagers».