Fini le shopping à Buenos Aires ! J'ai désormais un nouveau sac à roulettes, avec 12 kg d'équipement supplémentaire, uniquement composé de petites affaires compactes et modernes. Parce qu'au manteau du bonhomme Michelin et à la grosse tuque en laine de lama que je ne porterai qu'une seule fois, j'ai préféré le système multicouches et les tissus testés dans l'espace : la veste sans manches en «polar arctique», la veste à manches longues en fibre d'igloo, le bonnet mince antivent, la cagoule aérodynamique, les combines moulantes en caoutchouc de cosmonaute, le «jacket» en peau de balloune, les petits gants antidérapants...

Voyez le topo ? Et, pour le plaisir, j'ai calculé que, s'il faisait vraiment froid durant la croisière et que j'enfilais le maximum prévu à cet effet, j'aurais sur le dos 19 morceaux, en 6 épaisseurs de vêtements. Avec, au total, 22 poches...Mais plus rien à mettre dedans !

Il ne me manque qu'une bonne paire de bottes résistantes à l'eau, de marque Wellington, comme me l'a bien précisé Big Pete qui a déjà effectué le voyage, «parce que les visites des îles seront faites à bord du Zodiac, le bateau pneumatique accroché au navire : et si tu mouilles tes pieds le matin, l'après-midi, on t'ampute les orteils».

Merci, mon frère.

Et grâce à lui, je sais aussi qu'une paire de jumelles de qualité (essentielles sur un navire) doit être purgée à l'azote, pour éviter d'embuer ; que les équipements optiques Hokken sont sans doute fabriqués en Terre du Milieu par des elfes ; et qu'il vaut mieux se fier aux marques reconnues quand on ne connaît pas ça du tout.

Mais lorsqu'on n'a pas envie de dépenser 1500 $US pour une paire de Leica, on peut choisir des Vanguard, dont on dit du bien sur la Toile. Bien qu'elles soient «Made in China».

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C'est un avion McDonnell Douglas série 80 qui m'amène de Buenos Aires à Ushuaïa, avec une escale à Trelew. Trelew est une ville de 80 000 habitants, située dans la province de Chubut (ici, inscrivez votre propre jeu de mots).

C'est mon premier vol à bord d'un de ces MD 80. Il est drôle, cet avion argenté qui a l'air de sortir tout droit d'un film à gogo des années 70, avec son fuselage rétro long et mince, ses grandes ailes plantées très loin derrière, et sa porte d'entrée dans le péteux, sous le réacteur... Mais j'aurais sincèrement préféré me rendre en Patagonie en autobus ! Ou à moto ou à bicyclette ou même en stop, sur l'air de Piazzola, comme dans le film El Sur, si je me souviens bien... En plusieurs jours, doucement, m'arrêter dans des villages avec de drôles de noms. Dormir dans de drôles de maisons. Manger du drôle de manger. Bref, prendre le temps de «patagonier».

Un jour, reviendrai-je ? En attendant, cela devra s'inscrire dans ma liste de regrets, entre «devenir boxeur professionnel» et «embrasser Caroline».

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Dehors, tout en bas, l'océan Atlantique commence doucement à avoir des reflets d'un vert heureux. Ils étaient brun bouette autour de Buenos Aires. La côte de l'Argentine est plate comme une galette, et sèche comme le gâteau brun qu'on nous a servi dans l'avion. Nous atterrissons à Trelew, dans une région qui semble idéale pour faire pousser de la roche au vent...

Au fait, comment appelle-t-on les habitants de Trelew? Des Trelewions? Ou des Trelewinais?

Méchante colle !

Pour ceux qui l'ignorent, Trelew, ça se prononce comme ça s'écrit. Par contre, Ushuaïa se prononce Ussuaya. Parce que le «h» après le «s» est muet, en espagnol. Il se cache...

Et avant que vous me posiez la question, les habitants d'Ushu¬aïa sont les Ushuaïaiens. Mais ça, c'est selon la serveuse du Dublin Irish Pub d'Ushuaïa. Qui m'a ensuite affirmé que les habitants de l'Irlande étaient des Irishiens. Va savoir.

Et de quoi elle a l'air, Ushuaïa, la ville? Posée devant le riche canal de Beagle, au pied de montagnes enneigées que surplombe le glacier Martial, la ville de Ushuaïa, dans ce décor spectaculaire, a presque autant de charme qu'un centre commercial, avec son grand boulevard bordé de boutiques de souvenirs kitsch (si vous collectionnez les manchots en cristal, c'est LA place !) et d'un nombre incroyable de magasins de matériel de «plein air».

Cela dit, outre son emplacement géographique exceptionnel, l'attrait de la ville d'Ushuaïa réside apparemment dans le statut de «fin du monde» dont elle s'est affublée : ici, on trouve le musée de «la fin du monde», l'agence de voyages de «la fin du monde», le resto de «la fin du monde», la bijouterie de «la fin du monde», le dépanneur de «la fin du monde», etc.

Kétaine ?

Mets-en. La ville de la fin du monde, je suis désolé de vous l'apprendre, n'est pas l'endroit le plus pittoresque du monde. Venez plutôt voir ce qu'il y a autour.

Allez ! Au revoir, Amérique ! Destination Antarctique, puis les îles du Cap-Vert...

Je vous ramène un manchot ou une noix de coco ?