Bruno est dans l'île de Montserrat en compagnie de son amie Magalie. Tous deux viennent de survoler le volcan de Montserrat dans un avion qui fait rapidement demi-tour...

Antigua, le jour du départ

Après l'annonce officielle de l'annulation du vol, tous les passagers se sont retrouvés devant le comptoir, résolus à obtenir compensation. La responsable au costume blanc a vite rassuré le groupe.

«Ne vous inquiétez pas ! Vous passerez la nuit à St. John's, à nos frais. Et vous prendrez l'avion demain matin.»

D'accord, merci. Si tout se déroule comme prévu, on ne perdra donc qu'une seule journée à Montserrat. Mais... une sur cinq ? C'est quand même pas fort. Magalie et moi, on se console en se disant que, au moins, on aura vu la capitale d'Antigua avant de mourir.

Et comme tout malheur est rassembleur, les passagers sympathisent pendant que les préposés de Winair tentent de trouver un hôtel pour la nuit... On ouvre une canette de Wadadli, la bière «qui goûte la canne», et on se met à jaser avec le couple d'Anglais. Le monsieur nous explique qu'ils possèdent une villa dans l'île, depuis longtemps, mais qu'ils ne l'habitent plus souvent. Ils la louent. Et ils vont y passer quelques semaines par année, un peu par nostalgie. Spontanément, ils nous y invitent.

«Venez donc prendre un verre à la maison, jeudi soir ! Nous, on doit repartir le lendemain pour l'île de Nevis »

Pourquoi pas ? Enchanté, je me retourne vers Johnny, un des deux passagers canadiens.

«Ils sont gentils, hein !

- Non mais... Tu ne les reconnais pas, Bruno ?

- Est-ce que je devrais ?

- Peut-être bien. Connais-tu les Beatles ?»

Je rigole.

«Bien sûr que oui !

- Tu parlais avec Sir George Martin, leur producteur.»

Montserrat, villa des Martin

George et Judy nous embrassent chaleureusement et nous remercient d'être venus les visiter.

«Thank you so much !»

Générosité, simplicité et hospitalité... Que de grandes qualités pour des êtres qui n'ont vraiment plus rien à prouver ! Nous les quittons avec un petit pincement au coeur. Au-delà du fait que nous venions de passer quelques heures exceptionnelles en compagnie du célèbre producteur des Fab Four et de sa charmante femme, nous avions l'aimable sensation de nous être liés d'affection avec eux.

En sortant de la villa des Martin, nous passons à l'observatoire pour voir le volcan. La nuit, lorsque les explosions et les coulées de lave illuminent le ciel étoilé autour du cratère, c'est un spectacle d'une beauté terrifiante.

Croyez-moi, après une aussi belle journée, ça vous donne envie de pleurer.

Pendant un moment, nous étions presque béats ; et loin de nous l'idée, sinistre, que nous serions les derniers à avoir visité la villa ...

Montserrat, le lendemain

C'est la veille du départ. Comme tout bon voyageur, nous avions gardé le meilleur pour la fin : la visite de la ville de Plymouth, au sud de l'île, ensevelie en 1997 par l'éruption du volcan. Paraît que c'est très impressionnant, même vu de la mer : parce qu'il est interdit de poser le pied dans l'île dans cette région à haut risque, nous ne pouvons y accéder qu'en bateau.

Nous quittons le port.

La journée est magnifique. La mer est d'un bleu profond. Le soleil resplendit. À distance, le volcan est encore plus majestueux. Il trône, menaçant, grandiose...

Soudain, un gros nuage jaillit, en bouillonnant, du cratère. Et il déborde, doucement, en silence. Bloup bloup bloup. Comme lorsqu'on mélange du vinaigre et de la petite vache dans un pot trop petit. Puis, il grimpe dans le ciel et commence à couvrir l'île tout entière.

Magalie et moi n'en croyons pas nos yeux. Pour nous, c'est... Hiroshima !

Elle demande au capitaine :

«Est-ce normal ?»

Il sourit, avec un brin d'inquiétude.

«Pas du tout. Pas du tout... Et c'est peut-être même l'effondrement du dôme qu'on attend depuis des mois !»

Il ravale ses mots.

«Souhaitons seulement que ce ne soit pas l'apocalypse.»

Il stoppe les moteurs. De notre position, nous avons une vue idéale sur l'éruption. Du moins, c'est ce que nous croyons. Rapidement, le vent pousse les cendres dans notre direction et le nuage s'effondre en laissant de grandes traces grises fantastiques dans le ciel. Magalie s'exclame.

«C'est comme dans le tableau Le cri, de Munch...»

C'est effectivement aussi beau. Et aussi tragique. Plus question d'aller à Plymouth : pressés par la catastrophe, nous revenons. Heureusement, la route est praticable.

Sun, la gérante du Bunkum Beach, nous attend à la pension. Elle est dépitée. Les scientifiques de l'observatoire ont annoncé que le dôme ne se serait pas effondré et que la lave aurait coulé jusqu'à la jolie plage de View Point, un secteur que l'on croyait hors d'atteinte. Un grand malheur : ça prendra au moins 10 ans avant que la lave ne refroidisse...

«Il y a une réunion du conseil de sécurité ce soir, et il sera question d'étendre le périmètre de sécurité.»

Mais j'y pense : la villa des Martin est située à la limite de la zone d'évacuation... Inquiet, je lui pose la question. Elle est honnête.

«Je crois bien que c'est la dernière fois qu'ils auront visité leur maison.»

Le soleil se couche sur Montserrat. Nous rentrons.

Il n'y aura pas d'étoiles, ce soir.

Photo: Bernard Brault, La Presse