Mon ami Jérôme, lui, s'était transformé en serpent. Puis en spermatozoïde. Et finalement en poussière de comète.

Moi, après 15 minutes sur l'ayahuasca, je sens le plancher qui m'avale. Comment est-ce possible? Je me tâte. Je comprends.

C'est parce que mes fesses sont en bois.

Je regarde mes mains. Ce ne sont plus des mains. Ce sont des racines. J'ai les doigts pris dans le plancher. Je ne pourrai plus bouger. Je m'étends.

J'ai de la difficulté à respirer. Suis-je en bois? L'ayahuasca me répond:

«Calme-toi.»

-«T'étais là, toi?»

C'est un des aspects les plus surprenants de l'ayahuasca. Le truc te parle. Te guide. Te propose des choses. Te console.

«Laisse aller.»

Je respire un grand coup. Mes poumons fonctionnent.

Et cela, même si je suis devenu... la cabane. Je résonne sur le plafond, les murs, le plancher. Je m'entends faire écho aux bruits de la forêt. Et au chant du chaman. Magnifique. Sa voix, ses mots me transportent. Me soulèvent. Et le miracle a lieu.

Je suis aussi le chaman! Je suis lui, moi, la cabane, la forêt.

Voilà. Je comprends tout. J'ai tellement d'amour que je sens mon coeur protester. Il veut sortir de ma poitrine.

Pour l'apaiser, j'ouvre la bouche et j'avale la lumière de la lune. Elle coule dans ma gorge, s'enroule autour de ma moelle épinière, descend dans mon ventre et ressort par tous les pores de ma peau. Je brille dans la nuit. Je suis un astre!

Comme par magie, les grillons se mettent tous à chanter la même note. C'est le O, de Bruno. Le sifflement devient de plus en plus fort et m'envahit, comme une décharge électrique.

BUZZZZZZZZ!

Je me retourne comme un gant et je me rentre dedans, à la vitesse de la lumière. Plongeon dans les molécules! Assaut dans la matière!

BUZZZZZZZZ!

Ma pensée éclate, se fragmente en un million de petites pièces. Devant moi, un feu d'artifice d'équations mathématiques, d'électrons, de noyaux, de ficelles. Et de nez de clown. Des nez de clown? Ha! Je me dis qu'il y a des éléments chimiques qui ne sont pas très sérieux.

Ça me fait rigoler.

Je me revois au cégep dans le cours de chimie. Flash. Je suis un vieux Vietnamien. Cam on! Puis, je disparais. Je ne me revois plus. Et pendant ce qui me semble des heures, il n'y a plus de haut, plus de bas, plus de devant ni de derrière. Plus de Bruno. Qu'une pluie de codes complexes. Le temps a explosé. Tout se désintègre. C'est La matrice ? C'est la formation de l'univers?

«Les nerfs.»

Je panique. Ma respiration est haletante.

Le chaman me demande si je vais bien.

«Estoy mucho loco, je lui réponds. Je suis un poisson.»

Pardon? Je suis un poisson? Je touche ma tête. Elle est lisse.

Je veux remonter la rivière.

Je pense comme un poisson. Il n'y a plus de mots dans ma tête. Que des sensations.

Tout va trop vite. Je demande à l'ayahuasca de ralentir. Il insiste pour me faire remonter la rivière. Il veut me montrer quelque chose d'important. Je le sens.

«C'est l'origine de la vie.

-J'avais compris.»

Je remonte le courant. L'eau me rafraîchit. Elle est de plus en plus froide. Au bout de ma course folle, un glacier. Un glacier? Je croyais que la lumière était la grande responsable de notre existence! La fameuse grande lumière blanche, au bout du tunnel. Non, c'est l'eau, qu'il me dit. Devant mes yeux, le glacier fond. Je pleure.

Il y aura une fin, après tout. Une fin du monde. Je l'ai vue.

Le chaman se lève. Le chaman me souffle de la fumée sur la tête. Il m'en souffle sur les mains.

«Listo, Bruno.»

J'ouvre les yeux. Je vois mes pieds. Mes amis entrelacés.

La fumée du chaman est bonne. Rassurante. Je voudrais pouvoir me lover dans ses volutes. Son odeur m'enveloppe. Dans la fumée, il y a la plante du tabac, il y a le soleil, il y a le feu, il y a la terre. Je vois tout, je sens tout, je suis capable d'intervenir à différents niveaux de conscience, je suis dans l'infiniment petit et l'infiniment grand, et je peux comprendre en même temps ce qui se passe dans la pièce.

Je souris.

Le chaman se remet à chanter. Je repars, doucement cette fois, juste planer au-dessus de la forêt et jaser avec l'ayahuasca.

Le soleil s'est levé. Mes amis étaient couchés collés. Le chaman m'a demandé ce que je retenais de l'expérience.

«Plein de choses... Faut se tenir le dos droit. La vie est un miracle. Et le Canadien n'aurait jamais dû échanger Patrick Roy.»

Il m'a serré dans ses bras. On a ri fort.