«Comment arrive-t-on à trouver avec précision où se trouvent des gorilles dans la jungle ?» me demande mon amie Sylvie, de NDG. Excellente question, ma chère ! Parce qu'avec les 10 millions US que rapporte à des individus (mystérieux) cette activité chaque année, on pourrait croire que ces mêmes individus se seraient dotés d'une méthode technologiquement avancée de «repérage de gorilles» : on les imagine en hélicoptère, accrochés à des jumelles infrarouges, ou dans un camp de surveillance, guettant sur un écran radar les bips produits par des microémetteurs attachés aux bêtes...

Ah ! Au camp de base, où on sert du café instantané infect et où les toilettes sont partagées par les deux sexes, il n'y a ni radar ni bips : on bosse au crayon HB, on copie au papier carbone et on calcule à la mitaine. Un bref coup d'oeil sur les lieux suffit pour comprendre que la bouilloire de plastique y est probablement l'outil le plus moderne et qu'il est impossible de l'utiliser pour repérer des gorilles, parce que le fil n'est pas assez long...Alors ?

Tout le travail est effectué à l'huile de genou, par une équipe de traqueurs qui suivent les gorilles sur le terrain, de la levée du jour à la tombée de la nuit. Des vrais Tarzan, ceux-là...

À 7 h, aussitôt les gorilles repérés, ils communiquent avec le guide, qui mène d'abord le groupe en voiture jusqu'à un point de départ favorable pour attaquer la montagne. Puis s'amorce la marche sur l'une des nombreuses pistes aménagées par les jungle boys.

Voilà.

Nous, les Charlots en vacances, nous avons eu la chance, ce jour-là, d'avoir une grimpe d'au moins trois heures. Et je dis la « chance » parce que pour certains groupes, les bêtes sont assises si près de la route qu'ils ont à peine besoin de marcher ! Or, pour 500 $US, aller dans la jungle en char, c'est comme un peu... moche. Nous, il nous faudra le gagner, notre moment privilégié avec les gorilles.

Et nous le gagnons.

Après avoir grimpé tout en haut de la montagne, on aperçoit les gorilles... 200 mètres plus bas ! Pour les rejoindre, nous devrons descendre une périlleuse pente inclinée à 75 degrés, en nous accrochant aux lianes...

Couvertes d'épines !

Une opération possible à mains nues, mais plus facile avec des gants.

Dans le cas des chaussures, même s'il vaut mieux porter des bottes fermées, mes sandales - des Teva, conçues pour freiner sur la Lune - ont aisément supporté l'épreuve. Malgré l'incrédulité de mes coéquipiers, qui auraient gagné à se soucier de leur forme physique, plutôt que de s'acheter des déguisements d'alpinistes...

Nous arrivons finalement à la hauteur des gorilles, au milieu d'une gorge fabuleuse, où les nuages et la brume se heurtent en silence dans un décor si spectaculaire, qu'on dirait tiré de Jurassic Park... ou de King Kong ! Le portrait, en plan large, est saisissant.

Pourtant, après 15 minutes d'ébahissement et 200 photos de gorilles, je réalise que, aussi fascinante que puisse sembler la rencontre de deux espèces dont l'ADN ne diffère que de 3 %, je préfère encore aller à la rencontre des miens.

C'est beau, mais c'est plate, les gorilles. La marche en montagne était plus intéressante.

Parce qu'un gorille n'est pas précisément une explosion de joie ou un caniche de cirque. Le gorille fait ce qu'il a à faire, c'est-à-dire qu'il mange, il digère ou il dort. Dans l'ordre ou le désordre. Puis il se gratte. Et le cycle recommence.

Ennuyé au bout de 30 minutes, les cartes mémoires remplies, mon groupe de joyeux lurons s'est mis à bombarder le guide de questions très inspirées, dont celle-ci, qui m'a achevé : «Croyez-vous que les gorilles le savent, qu'ils sont une espèce en voie de disparition ?»

Bien sûr ! Et poursuivons la réflexion. Un gorille sait-il qu'il est un gorille ? Les gorilles lisent-ils le National Geographic ? Un gorille sait-il que nous sommes des êtres humains ? Un gorille sait-il que, malgré les apparences, nous ne sommes pas une espèce mineure de primates, mal adaptée à l'environnement, d'une odeur repoussante, née avec une ridicule boîte qui fait «clic clic» entre les mains ? Un gorille sait-il que nous sommes des êtres plus évolués que lui ?

Une fois, c'est un gorille qui dit à l'autre gorille :

«Hey, Bob, sais-tu quelle est la différence entre un humain et un gorille ?

- Euh, non...

- Ta femme doit être laide en tab... !»

Bref, à moins d'être un disciple de Dian Fossey ou un spécialiste des questions simiennes, en toute honnêteté, je ne vois pas pourquoi quiconque se déplacerait jusqu'au Rwanda, à ce prix-là, pour aller photographier pendant 60 minutes un cousin poilu écrasé sur son cul en train de digérer.

Moi, j'ai juste à aller à Sainte-Marthe-sur-le-Lac, gratis, voir Martin.

Salut, cousin.