Parc du Tarangire, Tanzanie - Tout le monde était rentré, sain et sauf. Mais Rémi le producteur était un peu déçu. Avec raison.

«On les voit pas, les hippopotames ! On dirait des yeux de grenouilles qui sortent de l'eau ! Fuck les hippos.»Filmer des animaux sauvages est difficile. Et frustrant ! Même en Tanzanie, dans un parc national... Avant le départ, on s'imagine pouvoir ramener des images spectaculaires, en gros plan, d'un guépard en fuite avec une gazelle dans la gueule, poursuivi par une bande de lions à travers les hautes herbes de la savane qui ondulent au vent comme les vagues d'un océan d'or...

Rien de moins.

Parce que depuis la diffusion 24 heures sur 24 de documentaires animaliers sur des chaînes spécialisées, l'image de l'animal, seul, est banalisée. On l'a vu en masse ! Maintenant, on veut le voir s'accoupler, accoucher et manger son placenta. On veut le voir sauter au cou d'un grand héron en plein vol, au ralenti. On veut le voir se battre contre un boa de 150 pieds dans une forêt en flammes.

Et en ce sens, le producteur avait raison : c'est vrai que ce serait poche de montrer à la télé le dessus d'une tête d'hippo, à la surface de l'eau, pour qui n'était pas là, avec nous, caché dans les grandes plantes d'eau. Sur place, les cris des animaux étaient effrayants ! Ils étaient au moins une dizaine autour, à grogner. Même nos pagayeurs, des pêcheurs locaux expérimentés, paniquaient.

«Attention, gardez vos mains dans les pirogues : les hippopotames nous ont encerclés», hurlait Simon, notre hôte.

Les bêtes savaient trop bien ce qu'elles faisaient, et c'est ce qui inquiétait Simon. Elles nous avaient forcés à retraiter dans ce coin du lac. Et d'ici, il nous était impossible de joindre le rivage. On pouvait seulement espérer que les hippopotames, avant la noirceur, changent d'endroit, ou d'humeur.

En attendant, nous étions pris au piège.

***

L'année dernière, lors d'un tournage de sketch pour l'émission 3600 secondes d'extase, je m'étais approché à distance raisonnable d'un groupe d'hippopotames, à bord d'un bon bateau à moteur, déguisé en Coucou, sur le lac Chamo, en Éthiopie. Une grosse femelle nous avait attaqués, deux fois plutôt qu'une, et pendant une seconde, je vous jure, j'avais vu la peur dans les yeux du capitaine. Malgré son expérience, malgré le bateau d'aluminium, malgré le moteur, et malgré Coucou, le héros des petits et des grands.Or, à la suite de cette expérience enrichissante, je savais très bien que si l'on devait rencontrer des hippos, cet après-midi, dans une pirogue de bois primitive gossée dans un tronc de figuier, valait mieux que ce soit de loin. De très loin...

Mais il nous fallait des images. Alors, nous avons ignoré l'avis du guide, et nous nous sommes moqués du territoire des bêtes. Maintenant, nous étions faits comme des rats.

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La première partie du tournage s'était bien déroulée, même s'il avait fallu attendre jusqu'à la dernière lueur du jour, au parc de Tarangire, pour enfin apercevoir nos premiers lions... Qui dormaient.

Nous avions quand même vu les girafes, les zèbres, les buffles, les gazelles, les impalas, les phacochères, des oiseaux multicolores et des centaines d'éléphants.

«Ce sont les caprices de la nature», ne cessait de répéter Bernard, le guide du Boundary Hill Lodge.

Il est un peu ingrat, le métier de guide de safari. Il n'a pas beaucoup de marge de manoeuvre : le jugement sur sa performance est directement lié aux bêtes que l'on croisera, par hasard, en voiture ou en canot. Et si, un matin, les éléphants ont tous décidé de rester au lit, on dira qu'il n'est pas bon. Et s'il arrivait un malheur, il serait jugé responsable.

Aux îles Fidji, pendant ma courte carrière de maître-plongeur, je me souviens d'un jour de sortie, sur une mer particulièrement agitée, où je m'étais fait engueuler par une plongeuse espagnole (une malcommode qu'on avait baptisée la Castagnette) parce que nous n'avions pas vu de requin. Comme si c'était de ma faute ! Les nuages, le vent d'ouest, et les vagues trop grosses, c'est aussi moi, je suppose ?

«Demain, je veux voir des requins. Je suis venue ici pour ça !

- Si, madame. Demain on mettra vraiment toutes les chances de notre côté.

- On sortira plus tôt ? On ira ailleurs ?

- Non. On amènera le docteur Dolittle !»

De grâce, soyez indulgent avec vos guides. Et suivez leurs conseils, si vous ne voulez pas être obligé de passer une nuit dans une pirogue, à chanter du Passe-Partout pour vous donner du courage.

Photo: Bruno Blanchet, collaboration spéciale

Il est un peu ingrat, le métier de guide de safari: le jugement sur sa performance est directement lié aux bêtes que l'on croisera, par hasard. Si, un matin, les éléphants ont tous décidé de rester au lit, on dira que le guide n'est pas bon.