Dans la vie, moi, tout ce que je n'ai pas vu et expérimenté, je le comprends plus ou moins bien, ou pas du tout.Je suis un gosseux. Un artisan. Un sensuel. J'ai besoin de toucher. De sauter à l'eau pour apprécier l'océan. De grimper la montagne pour reconnaître sa majesté. De souffrir pour être bien.

C'est pourquoi je suis nul en histoire: nul avec un grand N. Je n'ai aucune prise mentale sur les dates et les événements du passé. Je ne me souviens ni du nom du fondateur de l'Oratoire ni de la couleur du cheval blanc de Napoléon; je ne sais rien de la vraie vie de Moïse ni s'il en a eu une, et je n'ai aucun souvenir de la manière dont se termine l'histoire qui commençait par: «C'était une fois un Arabe, un Juif et une naine.»

Mon besoin de réel est aussi la raison pour laquelle je m'endors pendant les discours creux des politiciens, tandis que les prédictions brumeuses des astrologues et des diseux de bonne aventure m'ennuieront toujours.

Anecdote: quelqu'un que je ne nommerai pas et qui avait lu dans les lignes de ma main que je deviendrais médecin (!), gênée, des années plus tard, avait excusé sa bourde, en affirmant:

- J'avais dit médecin, Bruno, mais ça pouvait aussi vouloir dire comédien, ou juste devenir quelqu'un qui essaye de faire du bien aux autres... Tu comprends?

- Ah, O.K.!

Maintenant, à la maison, essayez d'être plus flou et gagnez un toutou.

Or, aujourd'hui, après avoir parcouru le nord du Vietnam, je ne peux pas croire que les Américains aient pu penser un seul instant pouvoir remporter une guerre ici, il y a 50 ans.

À la seule vue des dénivelés magnifiques, des marais et des rizières boueuses, des jungles impénétrables, des montagnes karstiques trouées de grottes immenses et de passages secrets, je suis absolument convaincu que n'importe quel général ou adjudant-chef avec une moitié de cerveau aurait répondu: GUERRE IMPOSSIBLE. STOP. PENSER PLUTÔT À UN BUSINESS DE CARTES POSTALES. STOP.

Vraiment! Rien que le fait de devoir négocier avec la nature qu'on devine immédiatement, au premier contact, sauvage et indomptable, serait un défi quasi insurmontable pour des envahisseurs inadaptés.

Aller s'y battre, en plus?

Pfff! Fallait être complètement taré pour penser partir de Washington avec une bande de gamins du Wisconsin et vaincre des Vietnamiens sur leur terrain! J'ai dit taré, et le mot est faible: fallait être le dernier des imbéciles...

Donc, après avoir parcouru le nord du Vietnam, j'ai compris une chose: la guerre du Vietnam était un massacre anticipé.

Une boucherie ignoble.

Près de 60 000 soldats américains tués. Quelque part entre cinq et six millions de victimes vietnamiennes et laotiennes.

Je sais que c'est plus compliqué qu'une fiche de statistiques, mais ça, c'est du domaine de l'histoire et de la politique...

Cinquante ans plus tard, je suis seulement triste.

Ce que le monde peut être bête.

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L'an dernier, j'avais passé 10 jours dans le sud du pays, à Ho Chi Minh-Ville, et je n'avais pas eu de coup de foudre, pour être poli. Le courant avait passé, mais sans plus. Une ville amusante, mais trop moderne, trop rushante et dépourvue de ce je-ne-sais-quoi qui court les rues à Hanoï.

Hanoï, c'est trop charmant!

Des lacs, plein d'arbres, des ruelles étroites, des échoppes et des porteurs de palanques qu'on dirait sortis tout droit du XIXe siècle, ville à la fois verte et folle, ancrée dans le passé et grouillante d'activité, Hanoï demande qu'on y reste un peu, beaucoup, énormément... En plus, la bouffe est bonne et le dodo est pas cher!

Honnêtement, il ne se fait pas beaucoup mieux, comme grande ville, en Asie du Sud-Est.

Coup de coeur.

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Boris a écrit de l'Australie: Salut Papa, c'est compliqué, trouver un travail, même avec le visa! Il faut que je m'enregistre au bureau de poste pour avoir une adresse officielle, après il faut que j'ouvre un compte en banque pour obtenir un numéro de taxe et, en plus, je suis obligé de suivre un cours de responsabilité face à l'alcool qui coûte 100 $ si je veux travailler dans un bar... Mais inquiète-toi pas! Je me suis imprimé des beaux CV en anglais.

Ton fils qui a vu deux kangourous xoxoxox

Photo: Bruno Blanchet

Karaoké à Hanoï.