En initiant mon fiston au voyage, je souhaitais qu'il puisse être conscient des choix planétaires qui s'offrent à un Québécois de 22 ans, avec toutes ses dents, du coeur à l'ouvrage et un peu de courage.

J'escomptais qu'il y trouverait une option à l'existence telle qu'il la connaissait, qu'il se découvrirait un nouvel horizon, un point de vue peut-être plus éclairé sur le monde, et sur la vie en général.  

Je voulais qu'il profite de la possibilité de devenir un homme libre d'attaches, un baroudeur confiant, épris d'obstacles et d'inconnu. Sauf que, jusqu'à présent, c'est surtout d'inconnues qu'il s'éprend! Mais ça, c'est l'âge, et on lui pardonne de succomber à l'appel de la testostérone.

 

Je rêvais donc de voir mon garçon prendre lui-même la décision de partir avec son baluchon, sans but précis, à la recherche de quelque chose d'indéfini.

 

Mais je... Mais je ne voulais pas le voir partir.

 

***

 

On s'est donné rendez-vous à Nairobi, puis on est rentrés ensemble à Bangkok, le point de départ de notre aventure, il y a bientôt 10 mois. Ma copine thaïlandaise Supak a trouvé Boris amaigri après son long séjour africain. Elle a trouvé qu'il avait vieilli.

 

Moi, je l'ai trouvé plutôt embelli.

 

Le regard plus usé, la peau moins lisse, l'air ennuyé, il a gagné en dureté ce qu'il a peut-être perdu en naïveté.

 

Moins beau?

 

Je me souviens, en arrivant au Yémen, d'une remarque que Boris m'avait lancée, en se contemplant le visage dans le rétroviseur craqué du vieux taxi cabossé.

 

«Je commence à être bronzé pas pire, hein papa?»

 

Oui, Boris. Comme si on en avait à branler de ton bronzage, dans le pays le plus pauvre de la péninsule arabique. Ils sont tous bruns ici, t'as remarqué?

 

Maintenant, je l'ai vu, mon fils, il se cache du soleil. Fini les vacances!

 

Il a bien changé.

 

Moins beau, non. Moins lourd!

 

Il était parti avec l'équivalent du poids total de mon bagage, rien qu'en accessoires de mode.

 

Lorsque je lui ai ordonné de laisser derrière ses trois paires de jeans, ses ceintures et ses bijoux qui prennent 10 minutes à enlever à chaque détecteur de métal d'aéroport, et que je lui ai montré les vêtements qui sèchent vite et les sandales laides mais confortables qu'il devrait porter pendant les six prochains mois en Afrique, afin de réduire le poids de nos bagages, il a presque éclaté en sanglots.

 

«Papa! Tu veux vraiment que je te ressemble? Ouache!»

 

Je ne suis pas du genre à faire une affaire personnelle de ce type de commentaire, mais ce jour-là, j'ai été forcé de me regarder dans la glace. Hum. C'était pas génial.

 

«C'est vrai que tu pourrais faire un effort pour plaire aux autres, Bruno.»

 

Je suis moche. Faut se rendre à l'évidence! J'ai presque autant de style qu'un gars en pyjama dans le bois. J'en suis rendu à ma quatrième année consécutive de shorts verts, de t-shirts beige, et de gougounes Scholls. Avantage: je ne me demande jamais ce que je vais porter durant la journée ni pour le soir. Je n'ai pas le choix! Je mets ce qui est propre et sec. Et c'est 15 bonnes minutes de gagnées chaque fois. Calculez cela comme vous voulez, mais ça fait 234 heures par année. À peu près... 10 jours. Enlevez le dodo et le niaisage, et ça totalise 20 jours!

 

Et qu'est-ce que je fabrique durant ces 20 jours?

 

Je dors. Et je niaise.

 

Mais aujourd'hui, c'est du sérieux. Mon fils part pour l'Australie, dans le but de refaire sa vie. Et moi, pour le Vietnam, pour faire de la tivi.

 

Je l'ai photographié alors qu'il marchait vers le taxi. Il était trop cool. On s'est serré la main comme des grands. Puis il est monté en s'essuyant les yeux. Je me suis retenu autant que je l'ai pu.

 

Ce n'est pas toujours facile de voir nos souhaits se réaliser. Mais la vie continue.

Et ne reste qu'à te souhaiter bonne chance, mon garçon...