Parce qu'il n'y a pas assez d'espace pour les passagers normaux sur les vols nolisés en Afrique de l'Ouest, le premier contact avec le Sénégal, je l'ai eu dans l'avion: avec un Sénégalais de huit pieds, qui s'est assis sur moi.Pas d'autre choix. Ses jambes ne rentraient pas entre les bancs!

C'est Bruno au pays des géants.

Les femmes sont grandes et grosses comme des joueurs de ligne de la LCF, et les hommes sont tous format Shaquille O'Neal.

Les enfants vous font de l'ombre, et les bébés... oh! Des bébés comme ceux-là, chez nous, on appelle ça des ados! Leurs poussettes sont grosses comme des chariots de chez Costco! On ne les nourrit pas au biberon, on les plogue directement sur la vache!

Vous voulez démarrer un bon business au Sénégal? Vendez du tissu. Ces beaux géants seraient un jour enveloppés par Christo, que ce ne serait pas étonnant.

Tout ça pour dire que je n'étais pas encore débarqué, et que déjà je me sentais minuscule. Et blanc, comme je ne l'avais pas été depuis longtemps.

* * * * *

C'est ma première visite en Afrique de l'Ouest. Il paraît que je suis chanceux de ne pas atterrir à l'aéroport de Conakry-Gbessia. On raconte que là-bas, c'est le vrai far west.

Un jour, nous y débarquerons, je vous le promets.

En attendant, arriver à l'aéroport de Dakar en pleine nuit, fatigué, c'est seulement comme gagner un gros toutou à la «loterie de l'aventure». Pas la voiture, ni la grosse somme d'argent : rien que l'immense panda en peluche. C'est gros, c'est encombrant, mais ça n'est pas assez pour écrire à ta cousine Martine.

En d'autres termes (de voyage), ce n'est pas assez épeurant pour te faire rebrousser chemin, pas assez terrifiant pour te donner des convulsions et pas assez perturbant pour qu'on te retrouve en position foetale dans un coin. Juste assez inquiétant pour te ramener à l'ordre.

«Bruno, tu n'es plus chez toi.

- Et où suis-je, Dieu?

- Chez eux.»

Ici, qui nage dans le sens du courant fait rire les crocodiles, disent-ils. Et les prédateurs sont nombreux à l'aérogare... Vous redressez la colonne, vous serrez les fesses et foncez droit devant, en affichant le sourire des grandes occasions (la Saint-Jean, le dernier jour d'école de l'année, les vacances de la construction), comme si vous étiez content de rentrer à la maison.

«Tassez-vous! Rien à déclarer! Pas besoin!»

Ou vous faites comme moi : l'idiot. Et à chaque demande insensée, vous répondez poliment la plus gentille des aberrations:

«Tu me donnes, moi, 20 euros?

- Vous avez un beau chapeau monsieur, et saluez votre maman.»

En ajoutant toujours un «merci!» affectueux avant de quitter l'importun : parce que le remerciement sincère déstabilise d'ordinaire, même le zigoto aux pires intentions *.

Puis, s'il le faut, greffez-y une bonne grosse poignée de main de vendeur d'assurances! Et si ça ne suffit pas, ajoutez, en prime, un hochement de tête hindou.

Vlan! Avec ce dernier, vous êtes certain de rendre le monde fou **.

* * * * *

L'hôtel que nous ont désigné nos hôtes sénégalais est situé au bord de la mer, à sept kilomètres du centre-ville. À côté d'une vraie belle plage.

En plein coeur du quartier industriel.

À gauche, une pointe de terres clôturées d'où émergent d'immenses cheminées et usines qui fabriquent de la boucane. À droite, vue imprenable sur des raffineries.

Et plein ouest, à l'horizon, la pittoresque île de Gorée, le joyau historique de l'Afrique, l'endroit le plus visité du Sénégal (que nous visiterons nous aussi), d'où seraient partis des milliers d'esclaves pour l'Amérique et les Antilles.

C'est irréel! Nous sommes dans un décor de science-fiction, made in Africa.

Et tous ces colosses qui vous entourent...

Je crois que je vais trop aimer le Sénégal.

* * * * *

Demain, nous devons partir pour le delta du Sine Saloum, à 150 kilomètres au sud. Nous explorerons Dakar au retour. Pour sortir de la capitale, on nous met en garde: attendez-vous à quatre heures, trois au minimum, si vous êtes chanceux. Et rien que pour vous rendre à l'autoroute! Le conducteur du minivan, notre coloré G.O., essaie de m'expliquer.

«Parce que le Sénégal, c'est comme un visage, de profil. Et Dakar, c'est le nez.

- Et les sinus sont bouchés?

- C'est ça. C'est comme essayer de sucer de la margarine par le chas d'une aiguille.

- Hum. Est-ce un proverbe sénégalais?

- Non, c'est vrai.»

Et c'est un départ.

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* Merci, c'est «djeredjef», en wolof.

* * À lire dans La frousse autour du monde, tome deux.