J'ai pas envie de mourir en allant à l'hôpital. Boris est stressé. Je le comprends. Pour faire enlever son plâtre, de Watamu, il doit se rendre à Malindi. Ce qui signifie 45 minutes de course infernale à bord du pire véhicule connu de l'homme: le matatu.

Définition du Brunopedia: Le matatu (taxi collectif du Kenya) est un Nissan Caravan modifié dans lequel on assoit 14 passagers pour leur faire peur en roulant le plus rapidement possible, tout le temps. Terreur garantie ou argent remis!

«On n'a pas le choix, Boris. Si tu veux te baigner...»

Boris a hâte de plonger dans la mer. Un mois qu'il me regarde batifoler dans l'océan Indien! Frustrant un peu pour lui... J'avais bien insisté, la première journée, pour essayer de l'amener à l'eau, malgré tout, en lui enveloppant le pied dans un sac de plastique. Mais c'est moins simple que je ne le pensais, sceller de façon étanche un plâtre au bout d'un gros mollet poilu...

«Fais-moi confiance, fiston! On a seulement qu'à mettre deux épaisseurs de gaffer tape.

- Ça ne marchera pas, papa.»

Ha! Ça n'a pas marché. Boris en a eu pour quatre jours à traîner un plâtre mou mouillé. Et une semaine à me faire la gueule, parce que, en plus, lorsqu'il a arraché le ruban gommé industriel... Rrrriiip! Le poil et la peau sont venus avec.

À contrecoeur, on saute dans le matatu.

Parce que c'est le seul moyen de transport efficace et économique pour voyager entre les villages... Sinon, on emprunte un taxi qui coûte la peau du clown, et qui est mêmement périlleux parce que l'état passable des routes asphaltées et la non-application des normes de sécurité routière par les policiers (pour obtenir un permis de conduire, vous n'avez qu'à glisser 50 dollars à un flic!), permettent à des Kényans sans talent de muletiers de se conduire comme s'ils étaient des pilotes de Formule 1.

Et dans le cas des matatus, comme ils doivent faire monter le plus de gens possible dans un minimum de temps afin de faire de l'argent... C'est le branle-bas! Le but pour le conducteur est de dépasser absolument tout le monde sur la route, d'effrayer tout ce qui bouge avec son pare-chocs ou son klaxon, de déborder les véhicules lourds dans les courbes et, dans une situation de face-à-face à grande vitesse, de tasser son bolide au tout dernier moment.

«Aaaaaaarggh!

- C'est moi qui ai les plus grosses!»

Olé!

Quarante minutes, 22 secondes et 12 centièmes plus tard, arrivés sans heurt au terminus de Malindi (j'ai quand même vieilli de deux ans lorsqu'on est passés à 90 km/h, entre une moto qui dépassait un tracteur et une voiture garée à contresens), on a soufflé un bon coup. Maintenant, il fallait prendre un tuk-tuk.

Définition du Brunopedia: Le tuk-tuk kényan, cousin du tuk-tuk indien, est une espèce de tondeuse superpuissante sur laquelle est posée une cabine, généralement conduite par un escroc enragé.

C'est toujours une expérience amusante... Et notre filou furieux ne manquera pas à la règle, en nous extorquant 50 grosses cennes et en criant des bêtises à une femme enceinte qui traversait la rue trop lentement à son goût.

Huit minutes plus tard, à l'hôpital général de Malindi, mauvaise nouvelle: le docteur est malade. On nous réfère à une clinique privée.

«Euh... Et c'est de quel côté?

- Je vous y amène!»

Derrière nous, un beau grand gaillard nous fait signe de le suivre. Il porte une casquette des Yankees et une chemise sur laquelle est écrit le mot... AMBULANCE.

Excellent! On s'assoit tous les trois devant et, sans même attendre qu'on ait eu le temps de boucler nos ceintures de sécurité, il décolle, en laissant un nuage de fumée digne des plus beaux shows de boucane de Napierville.

«Monsieur l'ambulancier, mon fils ne s'en va pas accoucher, y'a pas le feu!

- Ha! Dis donc... À quoi ça sert de conduire une ambulance lentement?»

On évite de justesse un cycliste et une vendeuse de ballons, et si on fonçait dans un kiosque de fruits, là, maintenant, ce serait comme dans les vues. Boris se retourne et me dit que si on crashait, ce serait moins pire, parce qu'on est déjà dans l'ambulance. Je l'aime, mon fils.

Dix-huit secondes plus tard, à la clinique, le docteur tâte le plâtre de Boris, comme on vérifie l'état d'un melon.

«Ouais, je pense qu'il est mûr!

Et il le scie avec une égoïne rouillée... Comme on coupe un deux par quatre! Pittoresque!

Sept minutes plus tard, Boris n'a plus de plâtre. Et on peut enfin bouger.

«On va où, papa?

- On va à Lamu, une petite ville musulmane sur une île où il n'y a même pas de voitures! Ça va être relaxant, hein?

- Et comment on y va?

- Euh... En bateau?

- J'ai hâte de voir le bateau.»

Photo: Bruno Blanchet

À bord d'un matatu, direction Malindi...