Le matin, à l'aurore, la locomotive traverse des nuages de papillons blancs. Un d'eux (ou une d'ailes?) entre par la fenêtre ouverte de notre compartiment. Il se pose au bord du lavabo. Il me regarde.

Et je dois faire une drôle de tête, parce qu'il reste là, à m'observer pendant une longue minute.

Nous sommes en route pour Mombasa (Kenya). Le paysage est splendide. À la fenêtre depuis une heure, je pensais voir des animaux sauvages...

Ça ne sera pas le cas, n'est-ce pas, petit papillon blanc?

Le train traverse le parc du Tsavo et, devant nous, s'il y a âme qui vive, croyez-moi, elle s'est sauvée en courant depuis longtemps! Le train fait tellement de bruit que c'est au-delà du bruit.

À l'extérieur, je suis sûr que le son doit ressembler au tonnerre ou à un concert de Motörhead; à l'intérieur, c'est à vous rendre malade.

Imaginez une vibration assourdissante qui entre par la plante des pieds et qui résonne dans les tympans et dans tout le corps, comme si il y avait un macaque hurleur dans votre ventre, avec un marteau dans chaque main, qui jouait un solo de batterie de cuisine pendant un tremblement de terre.

C'est pas reposant.

Malgré tout, Boris dort à poings fermés. Il ouvre un oeil.

«Hey, un papillon!»

Ah! Il est beau, mon garçon, avec ses grands yeux ronds. Il sait encore s'émerveiller, à 22 ans. Et c'est une belle qualité! Il va faire un bon globe-trotter, le jeune, s'il apprend à laver ses chaussettes plus souvent. D'ailleurs, ce matin, et je ne vous le cache pas, si je me suis levé avant le soleil et pris ma position de vigile à la fenêtre, c'était en espérant avoir la chance de pouvoir réveiller mon fils en criant:

«Boris, y'a un éléphant!»

Rien que pour voir son expression...

Déception.

Il se lève et vient me rejoindre à la fenêtre.

«Wow! Papa, c'est quoi le gros arbre, là-bas?»

Oui, Boris m'appelle encore papa. Et ça ne me déplaît pas du tout ! Surtout lorsqu'il me pose des questions auxquelles j'ai la réponse.

«Le gros arbre est un baobab, mon homme.

-Et ça?

-Ce sont des termitières, mon fiston.

- Ah bon! Et à quoi ça sert, une termite?

- Euh... à termiter?»

Mon cerveau est comme un bol de patates pilées. Pourquoi les vaches ne regardent pas passer le train? Pourquoi ceux qui ont peur de la noirceur se sentent mieux quand ils ferment les yeux? Pourquoi deux fils électriques doivent toujours obligatoirement s'emmêler? Quand j'éternue, pourquoi après, mon nez, il pue?

Tant de questions.

* * * * *

Notre voisin de cabine avait la chemise ouverte jusqu'au nombril, le col remonté à la Elvis et un médaillon, représentant le continent africain, en or serti de diamants, qui flottait dans le poil généreux de sa poitrine; il portait la moustache originale des années 70 (et une belle comme la sienne, je vous assure qu'il a dû la conserver dans un bocal), une coupe de cheveux Longueuil et baladait une fille à chaque bras.

Et il s'appelait Gino.

Le cliché parfait. J'aurais voulu l'inventer! Il s'en allait, lui aussi, à Watamu, où il vit pendant l'hiver, j'ai cru comprendre, comme beaucoup d'autres Italiens à la retraite. Je n'ai pas insisté pour en savoir plus, après l'avoir entendu parler au téléphone cellulaire de «capo», d'Interpol et de « policia ». Je n'ai pas nécessairement le goût qu'on m'amène derrière la grange, par une nuit sans lune.

«Tou en sais trrrrop, Brrrouno!

- Je vous jure, je ne dirai rien ! Je suis un ex-mime!»

Il nous a invités à prendre un verre au Comeback, la boîte à gogo de Watamu... Pardon? Je donnerais 100 piastres pour le voir danser sur du disco! Alors, je lui ai promis que nous y passerions certainement, un de ces quatre, mais que nous allions d'abord là-bas pour rencontrer un de nos amis, un gros Anglais nommé Big Pete, et que nos plans n'étaient pas encore élaborés.

Surprise, Gino le connaissait, le Big Pete! En fait, il paraît que tout le monde connaît Big Pete, au village...

Et j'ai bien hâte qu'il me l'explique celle-là, mon Gros Pierre. En attendant, je sais qu'il nous a réservé un appartement, avec deux chambres, salle de bains et cuisine; et c'est super-excitant, parce que ça fait cinq ans que je n'ai pas cuisiné!

Par contre, je ne sais pas si je vais me souvenir comment... Hum. Pour faire bouillir l'eau, est-ce qu'il faut la réchauffer avant?

Photo: Bruno Blanchet

Bruno et Boris en route pour Watamu.