Sur la route, il existe de ces endroits dont vous n'entendrez jamais parler en termes affectueux, parce qu'ils sont effrayants. De ces lieux qui ne laissent à peu près personne intact, parce qu'ils sont intenses, dérangeants. Ou parce qu'ils traînent un passé si lourd qu'on parle rarement d'eux au présent...

Or, peu importe que le malheur soit arrivé en 1960 ou le mois dernier, ou que ce soit carrément de la foutaise, les voyageurs adorent se raconter des peurs, et comme si elles étaient bien réelles, en plus. Le soir, au coin du feu (à condition d'avoir un feu carré), ces histoires d'horreur se faufilent entre les globe-trotters et éteignent les étincelles.  

- Au centre-ville, des jeunes l'ont saisi par les pieds, l'ont viré à l'envers, pis ils lui ont vidé les poches sur le trottoir...

- Moi, je connais un Allemand, ils lui ont pris tous ses vêtements et l'ont laissé là, complètement nu, pendant que les autres passants riaient.

- Ha ha ha!

- Et toi, tu t'en vas là? À Nairobbery (jeu de mots populaire avec Nairobi, «robbery» signifiant vol à main armée)?

Oui, je m'en vais là. Parce que je n'ai pas le choix. Mon fils doit aller à l'hôpital.

- Ouf... Un conseil, l'ami: lorsque la nuit tombe, même pour franchir 50 mètres, prends un taxi. Et il faut que tu prennes un taxi bleu, pas un taxi jaune, parce que les jaunes, ce sont des voleurs. Ou des meurtriers!

D'accord. Autre chose, peut-être? Je ne sais pas, moi... Des cannibales ? Des rats qui sortent des toilettes? De la bière chaude?

- À l'hôpital, fais gaffe qu'il ne lui vole pas un rein, à ton garçon...

Coudon! Après Nairobi, le déluge?!

Dans mon livre à moi, comme dirait c'te gars, trop de négatifs, à la fin, ça s'annule. Alors, j'y vais quand même.

Et il n'a qu'à bien se tenir, le bonhomme Sept Heures.

J'ai survécu.

J'y suis, maintenant. Tout dans un morceau. Et agréablement surpris!

Nairobi est moderne. Nairobi est propre. Nairobi est presque cool. Peut-être a-t-elle changé?

Dans le CBD (Central Business District), où est situé notre (confortable et cheap) hôtel, des gardiens montent la garde aux 30 mètres. On se sent franchement en sécurité. Les rues sont pavées. Il y a des trottoirs de chaque côté. Et des couvercles sur les bouches d'égout. Il y a des feux de circulation aux grandes intersections et, parfois, même des conducteurs qui les respectent. L'électricité fonctionne la plupart du temps. L'internet aussi, ce qui est génial en ce qui nous concerne. Et ici, plus besoin de marchander chaque fruit, chaque barre de chocolat et chaque nouveau rouleau de papier hygiénique : il y a des supermarchés, avec des prix indiqués sur les articles! Si vous saviez combien c'est agréable, une fois de temps en temps, en Afrique, de passer à une caisse enregistreuse avec vos achats... Finies, les engueulades!

Bip bip bip.

shillings.

- Aaaaah... I love youp!

- Pardon me?

Détail surprenant pour une capitale africaine: au centre-ville de Nairobi, il est interdit de fumer dans la rue. Pour les accros à la cigarette, on a créé les «smoking zones», des cubicules où les fumeurs s'isolent pour accélérer ensemble le processus d'autodestruction.

Et les transports publics sont complètement délirants! Les autobus multicolores, peints aux couleurs de clubs de football anglais ou ornés de visages de rappeurs célèbres, portent fièrement des noms débiles tels Toxic Dream, Godzilla, Soul Killaz, Strawberry Juice, Stud Shaft, Love Squaw ou Drunken Monkey... Et lorsqu'un de ces autobus s'arrête au terminus, afin d'attirer les clients (?), il offre un spectacle son et lumière, avec écrans vidéo, lasers et lumières de Noël! Et avec des haut-parleurs assez puissants pour propulser le véhicule...

Le délire, je vous dis.

Et pour les amateurs d'anecdotes croustillantes (je ne vous oublierai jamais), il y a, dans certains minibus, les soirs de week-end, diffusion de «blue movies»: ça signifie que, pour quelques shillings supplémentaires, vous pouvez vous balader en bus dans le centre-ville en regardant de la pornographie! Et qui cela peut bien intéresser, vous demandez-vous? Hon... Vous seriez surpris! Des couples bien fringués, tout ce qu'il y a de plus normaux, et des jeunes, en bande, sans doute curieux d'en apprendre un peu plus sur l'anatomie humaine. Et moi.

Strictement à titre professionnel.

Et finalement, cinq mots sur le Nairobi Hospital, la raison pour laquelle nous sommes venus ici : venez vous faire soigner ici! C'est vraiment top qualité, avec service impeccable et temps d'attente minimum. En deux heures à peine, nous avions le résultat de l'examen du pied de Boris!

Par contre, vous, vous devrez attendre une semaine.

Faut bien se garder une petite gêne...

Photo: Bruno Blanchet

Un smoking zone dans une des parties les plus propres de Nairobi.