Tous les samedis matin, un stationnement près du port de Beyrouth, capitale du Liban, s'anime et prend des allures du marché Jean-Talon. Petite visite là où les tensions multiconfessionnelles font place à l'harmonie des saveurs.

Abu Brahim, un Druze moustachu, porte le foulard traditionnel blanc sur la tête et d'amples pantalons noirs. Il vend ses pommes grenades et son jus de raisin frais dans des bouteilles de plastique.

À quelques mètres de lui s'affaire Oum Ali, une femme chiite dans la cinquantaine originaire du Sud, vêtue d'un voile noir et une grande robe fleurie. Elle offre quant à elle des man'ouchés, sorte de pain semblable à une crêpe, au grand plaisir des visiteurs matinaux.

Toutes les communautés, venues de partout au Liban, se réunissent au Souk al-Tayeb, le premier grand marché fermier au pays. Ils sont jusqu'à 70 producteurs à vendre leurs aliments traditionnels et naturels.

Le fondateur du marché est Kamal Mouzawak, un chef cuisinier et un animateur de télévision bien connu au Liban. Son but est de préserver la culture de son pays grâce à la nourriture.

«La tradition se perd, dit le grand homme à l'allure soignée. En Amérique, c'est bien pire. Toute une génération a perdu le goût de la tradition culinaire. Ici, au Liban, on commence à sentir cette tendance. On veut réagir!»

Manger pour rassembler

Le Liban compte 18 confessions religieuses. Au cours des 40 dernières années, le pays s'est déchiré à de nombreuses reprises. Depuis sept ans, M. Mouzawak essaie, à petite échelle, de les rassembler. «On s'est tellement entretués qu'on se dit que le temps est venu pour de la stabilité. Pour ce faire, on vend des produits de la terre, de l'agriculture et de la cuisine.»

Sur les tables éclairées par le soleil méditerranéen, on trouve des fruits et légumes biologiques, un commerce qui prend tranquillement sa place au Liban. Le fondateur du souk vise particulièrement les jeunes couples «bourgeois bohèmes» de Beyrouth.

Dans le coin du marché fermier, sous un auvent, Coara Walid-Mayssoun vend des produits végétariens de sa région, le Chouf, au sud de Beyrouth. Sur le kiosque de la petite dame, on retrouve notamment du labné (yogourt) et des barres de céréales.

Lorsqu'on lui demande quelle est sa confession, elle s'étonne de la question. «Je suis une Druze, dit-elle. Mais ce n'est pas important ici. On ne le sait pas et on n'en parle pas. On est une grande famille.»

Comme à la maison

Depuis un an, le Souk al-Tayeb a aussi pignon sur rue dans le quartier Mar Mikhael, à quelques kilomètres du centre-ville.

Tous les jours, une femme d'une région différente vient cuisiner à Tawlet, un petit restaurant branché décoré de tableaux humoristiques qui représentent les plats traditionnels libanais.

Le vendredi, Ramza Hosneh, chrétienne orthodoxe du nord du Liban, nous apprête des kibbeh, des bouchées à base de boeuf et de boulgour. Bien sûr, il y a la fameuse salade fattouche, du taboulé et des aubergines au vinaigre.

Le chef Sharbe Hosneh brasse la salade en attendant les premiers clients. «Elle cuisine de la même façon qu'elle le ferait pour ses enfants! dit-il. Moi, j'en apprends tous les jours un peu plus sur la cuisine de mon pays.»

On trouve aussi dans le restaurant des vins de tous les 35 producteurs du pays, une industrie en plein essor. La maison donne même des cours de dégustation.

Même s'il s'agit de plaisirs gourmands, M. Karam, insiste pour dire que son initiative est 100% politique. «La bouffe, c'est une expression bête et toute simple. Mais c'est le lien entre tous les Libanais. Notre devise c'est: faites de la bouffe, pas la guerre!»