Révolutions arabes, crise gouvernementale: après les chiffres record des trois dernières années, le tourisme au Liban fait pâle figure et la paralysie politique frappe l'économie de plein fouet. Sans gouvernement depuis janvier, le pays a enregistré une baisse du nombre de visiteurs: 15,5% de moins sur les quatre premiers mois, selon le ministère du Tourisme.

En 2010, le petit pays méditerranéen avait accueilli plus de deux millions de visiteurs, un record historique même comparé à la période dorée de l'avant-guerre civile (1975-1990). S'ils s'attendaient à récupérer les touristes ayant boudé la Tunisie ou l'Égypte, symboles des révoltes arabes, les hôtels de Beyrouth sont restés sur leur faim au début 2011. «L'activité hôtelière a chuté de 40% sur les six premiers mois», déplore Pierre Achkar, président du syndicat des hôteliers. «En début d'année, le taux d'occupation ne dépassait pas 35% à Beyrouth, la plupart des réservations ayant été annulées».

En janvier, le puissant Hezbollah a fait tomber le gouvernement de Saad Hariri, faisant craindre un retour aux violences des années 2005-2008. À cela s'est ajouté le cataclysme régional, notamment en Syrie voisine, secouée par une contestation sans précédent matée dans le sang. Fait rare, les touristes arabes et surtout ceux du Golfe, en tête des visiteurs étrangers, ne semblent pas vraiment au rendez-vous. La Middle East Airlines, le transporteur national, note une baisse de leurs réservations.

Les touristes du Golfe craignent d'être bloqués au Liban «si l'aéroport de Beyrouth ferme pour cause d'instabilité», explique Paul Aariss, président du syndicat des restaurateurs. «Ils ne peuvent pas s'enfuir via la Syrie et il n'y a pas de voie maritime». Et ce qui n'arrange pas les choses, le ramadan, mois de jeûne musulman durant lequel les visiteurs arabes restent plutôt dans leur pays, démarre cette année le 1er août, en pleine saison estivale. De plus, l'enlèvement en mars de sept Estoniens dans la région touristique de Baalbeck (est) a fait peur aux potentiels touristes. «Ce sera désastreux», commente M. Aariss. «Le chiffre d'affaires des restaurants est en baisse de 40% et une vingtaine d'établissements ont fermé dans le centre-ville et dans le quartier de Gemmayzé», symbole de la vie nocturne beyrouthine. «Il y a eu une explosion du nombre de restaurants pour répondre à la demande.

Aujourd'hui, ils commencent à licencier du personnel», constate-t-il. D'après des sources hôtelières, les pertes de certains restaurants sont estimées à plusieurs millions de dollars. Mais le tourisme n'est pas le seul touché: sur les 4 premiers mois, les transactions immobilières ont chuté de 21% et les recettes des douanes de 20%, témoignant de la frilosité des commerçants dans un pays largement importateur. La valeur des échanges à la Bourse de Beyrouth a chuté de 78% jusqu'à fin mai. Après des taux de croissance record (7,5% en 2010), les prévisions pour 2011 sont moroses: 2,5% selon le Fonds monétaire international (FMI). «Il y a un renversement de la tendance: la confiance du consommateur est en baisse en raison de la crise politique, d'où un ralentissement de l'économie», explique Nassib Ghobril, chef du département de recherches et d'analyses économiques à la banque Byblos. «Les affaires sont dans une situation d'attentisme.

Certains se disent qu'ils ne vont pas acheter de maison et préfèrent garder de l'argent liquide», dit-il. Les économistes craignent que la baisse des recettes, qui creuse déjà le déficit budgétaire, n'augmente les besoins d'emprunt de l'État. L'absence de réformes pourrait également augmenter le ratio dette/Produit intérieur brut (PIB) déjà très élevé, à 135% à la fin 2010. Alors que son solide secteur bancaire lui a permis d'être à l'abri de la crise mondiale, «le Liban est en train de rater une occasion en or», selon M. Ghobril.