Le «pays de Dieu», voilà le surnom du Kerala, un petit État du sud-ouest de l'Inde coincé entre la mer et les montagnes. De Dieu, vraiment? Avec ses plages, ses lagunes, ses rivières, ses forêts tropicales luxuriantes, ses animaux sauvages... on est certes tenté de se laisser convaincre!

Le Kerala s'étend sur 600 km et, étroit, il couvre tout juste 1 % du sud de l'Inde. À l'ouest, la mer d'Arabie fouette ses plages. À l'est, les montagnes des Ghâts occidentaux y culminent à 2695 m. Celles-ci figurent au patrimoine mondial de l'UNESCO, notamment pour leur biodiversité. Elles abritent des centaines d'espèces endémiques, ainsi que des éléphants, des tigres et de précieuses épices. C'est d'ailleurs en cherchant une route pour ces dernières, dont le fameux poivre, que Christophe Colomb a découvert l'Amérique! À notre tour de découvrir le Kerala...

Les graines de fenugrec qui rissolent dans l'huile de coco embaument le bateau maison. Le chef prépare un curry de poisson. Coque en bois et toit de chaume, l'embarcation est amarrée près d'une rizière pour la nuit. Nous sommes au coeur des backwaters du Kerala, un labyrinthe de 900 km de chenaux, rivières, lacs, lagunes, anses, etc., façonné par la mer et l'homme. Hôte d'un écosystème unique, ce réseau est utilisé depuis des siècles pour le transport, la pêche, l'agriculture. C'est l'une des fiertés de cet État de 34 millions d'habitants.

L'eau clapote, doucement. Des cocotiers nous voisinent. On en a vu toute la journée: 500 millions de ces palmiers couvrent 40 % du Kerala. Ce n'est pas pour rien que le toponyme «Kerala» signifie «terre de cocotiers»! Et ils se retrouvent partout: leurs feuilles se transforment en toits, leurs fibres en cordes, leurs racines en bois de chauffage, leur tronc en meubles. Leurs noix ou la sève rehaussent la cuisine: eau de coco, pulpe, lait, huile, vinaigre, alcool, sucre.

Le chef dépose ses plats aromatiques sur la table. On déguste pendant que le soleil couchant se noie dans l'eau. Une poussière lumineuse vient vite consteller le firmament au-dessus du bateau maison, dit kettuvallam.

Ces modestes embarcations, qui transportaient autrefois du riz ou des denrées, ont été métamorphosées en palaces flottants pour touristes. Un millier d'entre eux circulent dans les backwaters aux environs de la ville d'Alappuzha, parfois décrite comme la Venise de l'Est.

Tôt le lendemain, on largue les amarres. Ici, des écoliers courent pour ne pas manquer le bateau scolaire. Là, des personnes empruntent le traversier public. Plus loin, des hommes chargent du riz tout juste récolté dans un bateau. Mais les kettuvallams parcourent les larges canaux et se retrouvent parfois à la queue leu leu. Pour une expérience plus intime, on opte pour le kayak ou une barque.

À bord d'un kayak, on jongle constamment entre pagayer et joindre ses mains afin de saluer les sympathiques villageois en disant «Namaskaram!». Les rives de Kumarakom bourdonnent de vie. Des cyclistes roulent sur des sentiers couverts de coquillages, laissant un nuage de poussière derrière eux. Les pieds dans l'eau, des hommes en longhi, pagne indien, se rafraîchissent. Des femmes en saris colorés lavent des vêtements ou la vaisselle devant leurs maisons tout aussi multicolores.

Et voilà deux garçons qui se baignent. Ils tendent le bras vers le manguier au-dessus d'eux et attrapent des fruits. Ils nagent jusqu'à moi et m'offrent des mangues vertes. «Nanni!», dis-je, pour les remercier.

Les canaux traversent des rizières, vertes ou dorées, selon la saison.

À Kollam, notre barque en bois tricote à travers des chenaux. Un étudiant, qui a troqué le longhi pour des jeans malgré la chaleur, la propulse debout à l'aide d'une perche. Des branches d'arbres et des ponceaux entravent la voie. «C'est mon yoga!», lance-t-il en faisant des acrobaties pour les éviter.

Assoiffé, on sollicite la propriétaire d'un terrain couvert de cocotiers afin qu'elle cueille des noix vertes pour nous. Elle les scalpe à coups de couteau; on se désaltère de leur eau.

Aux gazouillis des oiseaux se marie une voix qui chante des textes sacrés depuis un temple hindou. Le Kerala est reconnu pour sa tolérance religieuse. Ici, 56% de la population est hindoue, 24 % musulmane et 19 % chrétienne. Selon une coutume, la pakarcha, les croyants partagent d'ailleurs leurs repas sacrés avec les gens d'autres confessions.

Lorsque la mer nous interpellera dans sa langue bien à elle, on ira s'échouer sur ses plages où déferle la mer d'Arabie. Certains disent que ce sont parmi les plus belles du monde. Les Indiennes s'y baignent vêtues de leur sari, rigolant lorsque les vagues les basculent. À chaque gonflement de ces dernières, l'air salin emplit nos poumons encore parfumés de tant d'effluves.

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Une partie des frais de ce voyage a été payée par l'Office de tourisme du Kerala.

PHOTO MARIE-SOLEIL DESAUTELS, LA PRESSE

Des embarcations remplacent les voitures devant les maisons orange, fuchsia, jaune, bleue ou turquoise, dans les backwaters.

PHOTO MARIE-SOLEIL DESAUTELS, LA PRESSE

Pour explorer les petits canaux, les embarcations pour touristes sont trop imposantes. Mieux vaut le faire en kayak ou en barque.

Repères

Comment s'y rendre

Des vols internationaux desservent la capitale du Kerala, Thiruvananthapuram, de même que Kochi. Sur place, soit on se déplace en bus ou en train pour presque rien, soit on opte pour un chauffeur privé.

Quand y aller

La meilleure période pour voyager au Kerala est d'octobre à mars, après la saison des pluies. D'avril à septembre, la chaleur, la sécheresse et la mousson se succèdent. Pendant la mousson, on profite néanmoins d'une nature luxuriante et de prix minimaux.

Terre nourricière

Randonner dans des montagnes où rôdent des tigres. Observer des éléphants, des gaurs, des guêpiers à queue d'azur, des cormorans. Se promener au coeur de théiers touffus ou de cardamome en fleurs. Le Kerala jouit d'une biodiversité qui vaut le détour. Récit en cinq points.

Randonner dans les montagnes

La chaîne des Ghâts occidentaux culmine au Kerala avec les 2695 m du mont Anamudi. Une végétation luxuriante couvre le versant occidental de celle-ci, abreuvé par la mousson. Le versant oriental, lui, se situe dans l'ombre pluviométrique. On peut ainsi explorer, le plus souvent avec un guide, tant la jungle que le territoire aride des éléphants. 

Côtoyer une faune riche

Un troupeau de gaurs détale à travers les arbustes épineux de la réserve faunique de Chinnar. Des excréments d'éléphants jonchent le sol aride, marqué par des traces de léopards, mais pas de pachydermes en vue. Diverses activités permettent de découvrir la vingtaine de parcs nationaux et de réserves fauniques du Kerala. Les éléphants se montreront finalement dans la vaste réserve de Periyar, où l'on compte une cinquantaine de tigres (fantômes) et un millier d'éléphants d'Asie! L'Inde possède, avec ses 27 000 individus, 60 % de tous les éléphants d'Asie sauvages du monde.

Plonger dans le thé

L'Inde est le deuxième producteur de thé au monde. Facile d'y croire dans la région de Munnar: des théiers, puis des théiers encore, toute une perspective de collines verdoyantes où il fait bon se balader. Au jardin Kolukkumalai, les théiers s'accrochent à des pentes abruptes jusqu'à 2400 m d'altitude. S'y rendre est une expérience en soi. À bord d'une jeep, qui convulse sur le chemin cahoteux, il faut une heure et demie pour couvrir les 16 km jusqu'à la fabrique, où l'on peut tout apprendre sur la transformation du thé.

La «terre des épices»

Savez-vous à quoi ressemble le poivre lorsqu'il pousse? Et la cardamome, le curcuma, le gingembre? La visite d'une plantation d'épices, dans la région de Periyar, nous plonge dans un délicieux univers botanique. On comprendra mieux aussi l'origine de la vanille, de la cannelle ou de la muscade. Ne manquez pas de glisser des épices dans vos bagages!

Au rythme des marchés

Une trentaine de variétés de bananes - rouges ou jaunes, longues ou petites - poussent dans les forêts tropicales du Kerala. Tout comme l'extraordinaire fruit du jacquier qui pèse jusqu'à 50 kg! Ces produits locaux, mêlés à tant d'autres, abondent dans les vibrants marchés. Et que dire des poissons (la pêche en mer et en eau d'eau douce représente le gagne-pain de plus de 1 million d'habitants): maquereaux, thons, sardines, crevettes, calmars, palourdes, karimeen, le poisson emblématique du Kerala, alouette!

PHOTO MARIE-SOLEIL DESAUTELS, LA PRESSE

Pour cuisiner les saveurs du Kerala, il faudra des épices. Beaucoup d'épices!