Des visages d'anciens bénévoles tapissent les murs de la cour boueuse de l'orphelinat Acodo, au Cambodge: des centaines de photos qui témoignent du défilé grandissant de vacanciers venus soulager leur conscience, faisant parfois plus de mal que de bien à des enfants abandonnés.

Marissa Soroudi, étudiante de New York, fait partie de ces nombreux bénévoles venus enseigner l'anglais dans cet établissement de Siem Reap qui accueille 60 orphelins de 3 à 18 ans, à quelques kilomètres des célèbres temples d'Angkor.

La jeune Américaine, qui paye 50 dollars par semaine pour travailler à l'orphelinat, prévoit rester quelques jours avant de reprendre la route. Elle sait pourtant que ce défilé d'étrangers est dur pour les enfants.

«Il y a tellement de gens qui se portent volontaires que c'est un peu, l'un part, l'autre prend sa place», constate-t-elle.

«On nous dit que c'est mieux de ne pas parler de ça avec eux. Ne pas leur dire "je m'en vais dans une semaine", parce que ça les bouleverse».

Les bénévoles de quelques jours ont peut-être les meilleures intentions, mais ils mettent certains enfants vulnérables en danger, préviennent les experts.

«Le changement incessant de ceux qui s'occupent d'eux crée une perte affective chez des enfants déjà traumatisés», explique à l'AFP Jolanda van Westering, spécialiste de la protection de l'enfance à l'Unicef.

«Et l'exposition constante à des étrangers pose un risque de violence et d'abus, parce que nous savons que souvent les bénévoles viennent dans un orphelinat sans que leurs antécédents soient vérifiés».

Un flot ininterrompu de visiteurs sur le chemin d'Angkor, fréquenté par un million de touristes par an, traverse Siem Reap, et beaucoup veulent faire plus que du tourisme, dans un des pays les plus pauvres du monde.

«N'y allez pas»

Dans les hôtels, cafés ou magasins de souvenirs, les grands yeux d'enfants en photo sur des affiches pour des écoles et des orphelinats les encouragent à donner temps ou argent.

«Les visiteurs voient cette pauvreté et ils se sentent mal», note Ashlee Chapman, responsable de projet pour Globalteer, une organisation qui met en contact bénévoles et associations locales.

«Ils veulent faire quelque chose», ajoute-t-elle. Même en passant seulement quelques heures avec les enfants et en apportant quelques jouets, ils ont «l'impression d'avoir participé».

À mesure que se développe ce tourisme humanitaire en pleine expansion, les institutions s'occupant d'enfants se multiplient.

Le nombre d'orphelinats - la plupart financés par des dons - au Cambodge a doublé ces six dernières années, selon l'UNICEF. Le pays compte aujourd'hui 269 établissements, avec quelque 12 000 pensionnaires.

Le tourisme a contribué à cet essor, selon Friends International, ONG locale qui travaille avec des jeunes marginalisés.

Certains enfants de familles pauvres, même s'ils ont encore un parent, sont placés dans des orphelinats, qui sont devenus de véritables «attractions» touristiques dans des villes comme Phnom Penh et Siem Reap, constate Marie Courcel, de Friends International.

Seulement un orphelinat sur dix est financé par l'État, les autres doivent compter sur des donations.

À Acodo, les enfants sont mis directement à contribution pour attirer les dons, en proposant chaque soir un spectacle de danse traditionnelle khmère qui attire les touristes.

«Ils doivent faire de leur mieux et ils entendent que si ce n'est pas le cas, il n'y aura pas assez d'argent pour s'occuper d'eux», s'inquiète Jolanda van Westering.

«Vous pouvez imaginer l'effet que vivre dans un tel environnement précaire peut avoir sur des enfants».

Alors son conseil aux touristes qui voudraient visiter un orphelinat est simple: «N'y allez pas». À la place, «soutenez une organisation locale qui propose des activités aux enfants dans la journée mais où les enfants rentrent chez eux le soir».

Un conseil qu'ont suivi Betsy Brittenham, décoratrice d'intérieure, et sa fille de 15 ans Alex, qui sont venues enseigner l'anglais pendant trois semaines dans un centre communautaire où les enfants retournent chaque soir dans leur famille.

Comme les bénévoles d'Acodo, l'Américaine paie pour travailler pendant ses vacances. Mais «quand vous faites du bénévolat comme ça, non seulement vous apportez votre argent mais (...) vous enseignez à leurs enfants», note-t-elle. «Cela n'a pas de prix».