Malgré des heures passées à leurs côtés lors d'un vol, nos voisins de siège demeurent souvent anonymes. Notre collaboratrice a voulu briser cette bulle invisible, faisant des découvertes aussi étonnantes qu'enrichissantes.

« Vous aimez les friandises indiennes ? »

J'étais contrariée d'être assise dans le siège du milieu de la rangée du milieu pour un vol de 12 h. La question de Kala m'a surprise et m'a fait changer d'air d'un coup. Elle m'a tendu un vieux sac en plastique rempli de sucreries suspectes. J'ai décliné poliment tout en trouvant le geste (rare) particulièrement gentil. 

« C'est une bonne chose que vous soyez à côté de moi », me dit-elle en me touchant le bras. 

Ah bon ? J'étais loin de me douter que cette femme et moi allions nous quitter, plusieurs heures plus tard et sur un autre continent, dans les bras l'une de l'autre. Kala habite Los Angeles depuis plus de 30 ans, mais est originaire des îles Fidji. Quand elle a eu 17 ans, sa famille l'a obligée à marier un homme qu'elle n'aimait pas, qui la battait et avec lequel elle a eu deux fils. « On habitait chez ma belle-mère. Elle me faisait la vie si dure que ma propre mère est venue me chercher parce que j'allais y laisser ma peau. » 

Je lui tends un mouchoir. 

Elle quitte ses deux garçons et les îles Fidji à 40 ans et s'embarque pour les États-Unis avec une valise et des rudiments d'anglais. 

« J'ai trouvé un travail dans un restaurant italien et j'y suis restée pendant 23 ans ! Il paraît que je faisais la meilleure lasagne en ville. » Je souris en pensant qu'une Indienne des îles Fidji qui cuisine une lasagne à Los Angeles, c'est la définition même de la cuisine fusion. 

« Mon patron me disait d'écouter des dessins animés pour améliorer mon anglais. Je n'écoute que ça ! De toute façon, il y a trop de baisers dans les films américains ! » Elle me fait rire et me touche le bras sans cesse. 

Elle a fait venir ses deux garçons à Los Angeles 10 ans plus tard. « Ç'a été dur pour eux, surtout le plus vieux. Il voulait rester à Fidji. Le plus jeune s'est mieux adapté. On habite tous ensemble, c'est dans notre culture. J'ai deux belles-filles et deux petits-fils aussi et c'est moi qui cuisine pour tout le monde. De toute façon, mes belles-filles ne sont pas très douées. » 

Elle se rend à Auckland en Nouvelle-Zélande pour une cérémonie de commémoration du décès de sa cousine préférée. « Je m'ennuie tout le temps d'elle. » Re-mouchoir. Sa maison de L.A. a beau être pleine, elle s'ennuie de son île. 

Elle me demande de remplir sa carte d'immigration. « Je ne suis pas allée à l'école longtemps. » Rarement me suis-je sentie aussi utile dans ma vie. 

Lorsque je me réveille d'une petite sieste, Kala, toute droite assise, écoute un dessin animé de Tom & Jerry sur son écran d'avion. Elle m'envoie un « good morning » maternel. 

Finalement, ses friandises indiennes étaient délicieuses.

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Kala, 73 ans, retraitée 

Habite Los Angeles 

Lors d'un vol Los Angeles-Auckland

Photo Thinkstock

Kala a quitté ses deux garçons et les îles Fidji à 40 ans et et s'est embarquée pour les États-Unis avec une valise et des rudiments d'anglais.

Photo Thinkstock

La plage de Santa Monica, à Los Angeles