Le guide Richard Montredon nous emmène dans une balade botanique de cinq heures. Même si les plantes ne me branchent pas vraiment, des fougères arborescentes et des têtes de violon à 10 m de hauteur, ça étonne.

On traverse le jardin créole, un lieu de subsistance mais aussi, jadis, de résistance des Noirs martiniquais qui ont obtenu le droit de posséder un petit lopin de terre après l'abolition de l'esclavage. Ce garde-manger tropical compte des mandariniers, des caféiers arabica, des vanilliers, des jacquiers, des choux de Chine, des piments végétariens et de l'oignon pays.

Pour chaque végétal, Richard froisse une feuille et on essaie de trouver son nom en sentant l'odeur restée sur nos mains: muscade, giroflier, cannelle, citronnelle... Un placard d'épices en pleine nature. Et de fleurs aussi. Ce n'est pas pour rien qu'on appelle la Martinique «L'île aux fleurs».

Un piment fait rire notre groupe. Les Martiniquais le surnomment le bonda man jak, ce qui signifie «les fesses de madame Jacques», car il ressemble au critère callipyge des Martiniquaises. Selon notre guide, en tout cas!

Tout le long du parcours, Richard nous raconte des anecdotes de la vie créole du passé.

Il évoque le temps où les villageois se serraient les coudes à cause de la famine. «Il y avait plus de partage qu'aujourd'hui, dit-il. Par exemple, on se passait un os de jambon d'une famille à l'autre pour que tout le monde puisse donner du goût aux aliments. On l'appelait l'os de la disette.»

Le canal des esclaves

Puis, nous arrivons au canal des esclaves, un système d'irrigation qui permet d'apporter les 7 à 15 litres d'eau par jour que boit chaque arbre de la bananeraie de la famille Beauregard, située plus bas dans la vallée. Le canal a été construit, de 1777 à 1802, par des esclaves. Il suit le flanc de la montagne et nous empruntons son parcours pendant plus d'une heure.

Richard nous fait goûter l'enveloppe sucrée qui entoure la graine de cacao, une fois qu'on a cassé la cabosse. Puis, il sort une bouteille de rhum planteur pour un petit apéro bien apprécié. Mais on n'abuse pas. On ne veut ni tomber dans le canal ni de l'autre côté, où il y a parfois 60 m de vide. Des esclaves y ont laissé leur vie lors de la construction, et ce canal n'est pas conseillé à ceux qui souffrent de vertige.

À la fin de la randonnée, on traverse la bananeraie qui appartient à un «Béké». Richard évoque alors la société martiniquaise, très métissée. Les Békés sont les descendants des premiers colons. Ils détiennent une grande partie des richesses de l'île tout en représentant 10 % de la population.

Notre balade s'achève à l'anse Turin, où on se baigne au bord d'une plage de sable gris, couleur de la pierre volcanique.

Danses bèlè et montagne Pelée

Le soir, on découvre les danses bèlè, au gîte des Z'amandines, escale du réseau TakTak, à Morne des Esses. Ces danses chantées d'origine africaine célèbrent une partie résurgente du passé des Martiniquais. La petite troupe, gelée de devoir jouer devant nous par 17 ºC, s'est efforcée de nous en montrer quelques rudiments. Après avoir bu (encore!) des punchs de l'amitié, épuisé, je m'écroule dans le hamac de nos hôtes, doucement bercé par les bruits des criquets, des grenouilles et des oiseaux de nuit. Réveillé en pleine nuit par le son de la pluie et l'humidité pénétrante, je me replie dans mon lit.

Le lendemain, nous avons rendez-vous avec la montagne Pelée, ce volcan qui a tué les 30 000 habitants du port de Saint-Pierre en 1902. Nous partons du premier refuge, situé à 824 m d'altitude, près du lieu-dit Morne Calebasse.

Il fait beau, mais la montagne est, comme toujours, dans la brume. La grimpette est pentue. Quelques marches en bois et, souvent, des passages dans la roche volcanique.

La pluie fine nous rafraîchit au départ mais, arrivés au deuxième refuge, une maison abandonnée à 1245 m, c'est frais et humide. On peut à peine s'y abriter. On observe le cratère du volcan, envahi par une végétation luxuriante, et après avoir aperçu le sommet de la montagne grâce à une exceptionnelle éclaircie, on redescend un peu transis.

Un membre de notre groupe glisse sur un rocher et se blesse sérieusement le genou, ce qui nous permet de faire la connaissance des urgences et des pharmacies martiniquaises... On attend aussi en France tropicale... et les médecins sont aussi difficiles à convaincre de vous faire passer un test d'IRM qu'au Québec.

Notre dernière randonnée a lieu dans la presqu'île de la Caravelle, un parc naturel régional. Elle débute par la visite des ruines du château Dubuc (18e siècle), une habitation sucrière de l'époque coloniale. Puis, on a le choix entre deux circuits. J'opte pour le sentier ombragé qui mène à la côte Atlantique, près de l'anse Bois Vert.

Les falaises de calcaire corallien sont déchiquetées, arrosées par les grosses vagues de l'océan. Un endroit agréable et paisible pour s'arrêter un moment, regarder la mer et ressentir le sel sécher sur les joues.

En traversant le parc, on peut voir la mangrove où les crabes mantous, touloulous et sé ma fot se cachent dans leurs trous dès qu'on arrive près d'eux. Notre promenade est marquée par la découverte d'une petite plage qui n'était pas indiquée sur nos cartes, dans la baie du Trésor. L'eau, dans laquelle on peut voir nager des jeunes bécunes, est limpide. J'y serais resté. C'est bien, les randonnées, quand elles finissent par la mer, la plage et les cocotiers...

 

8 mai 1902, 8 h du matin...L'histoire de la catastrophe du 8 mai 1902, quand l'éruption du volcan de la montagne Pelée a provoqué la mort de 30 000 personnes, est très présente au petit musée de Saint-Pierre. Fondée en 1635, Saint-Pierre, entièrement détruite ce jour-là, était l'une des plus belles villes des Antilles, avec un port très commerçant (rhum et sucre), des maisons bâties en pierre de taille et des caniveaux, comme dans la lointaine capitale française. Mais le drame a entièrement détruit «le petit Paris des Antilles». Au musée, des photos et des objets de ce jour-là: des bouteilles et des verres déformés par la chaleur (1100 ºC) et même la cloche de l'église à moitié fondue...

 

Des balades sécuritaires

Il y a 32 sentiers de randonnée balisés en Martinique pour partir à la découverte d'une nature toujours verdoyante. Des sentiers toujours sécuritaires et gratuits. Ils demeurent toutefois assez sauvages et traversent souvent des propriétés privées. L'Office national des forêts, organisme français responsable des sentiers, négocie des droits de passage avec les propriétaires. Du coup, quand on passe sur une parcelle privée, on rencontre le propriétaire des lieux qui ne manque pas, comme cela nous est arrivé, d'offrir des mandarines.

Ces sentiers ont aussi une histoire riche que les guides se plaisent à vous raconter, comme celle de ces jeunes Martiniquais dissidents qui, au péril de leur vie, se sont échappés de l'île dans les années 40, faussant compagnie aux gendarmes du régime de Vichy grâce à ces sentiers, afin d'aller rejoindre le général de Gaulle et la résistance française par Cuba, alors sous influence américaine.

Plusieurs de ces sentiers martiniquais seront bientôt reliés les uns aux autres en un seul axe de grande randonnée, un GR, comme le GR20 qui existe en Corse. On pourra alors parcourir l'île du nord (Grande-Rivière) au sud (Fort-de-France) en quatre ou cinq jours.

 

Connaissance des racines créoles

«Les jésuites, qui possédaient les terres, disaient aux esclaves que s'ils acceptaient leur condition, ils iraient droit au paradis. Il a fallu avoir le courage de parler du viol qu'a été l'esclavage. Et là-dessus, le travail du poète Aimé Césaire, décédé l'an dernier, a été majeur car il nous a fait accepter d'être nègres et d'en être fiers.»

Gilbert Larose appelle les choses par leur nom. Ce Martiniquais est un bâtisseur. Il a créé la Savane des esclaves, un site touristique où l'on a rendez-vous avec l'histoire et les racines de l'île. Il a défriché un territoire pendant cinq ans, seul et sans aide financière, dans le seul but de permettre aux visiteurs de se familiariser avec le patrimoine créole de la Martinique.

Il a construit des habitats traditionnels avec des cannes à sucre et du bois d'Inde. Il a aussi aménagé un petit musée simple et évocateur sur la période de l'esclavage, musée que visitent un grand nombre de touristes, et même des élèves d'écoles venus de France et des Caraïbes.

Coiffé de son chapeau traditionnel, le bakoua, Ti Jilbè (Gilbert) nous explique qu'il aurait pu écrire un livre sur son île. «Mais on ne peut pas entrer dans les pages», dit-il.

On apprend dans son musée qu'il existait un «code noir» depuis 1685 en Martinique. Les esclaves étaient marqués à la fleur de lys quand ils tentaient de s'enfuir. En cas de récidive, on leur coupait les oreilles. La visite du musée est agréable car elle est sobre et sans jugement. Seulement des faits.

«Un aîné venu visiter le musée m'a dit: «Maintenant que j'ai vu ça, je peux mourir tranquille»», glisse Gilbert Larose.

Nous nous sommes ensuite promenés dans le jardin médicinal qu'il a créé sur le territoire avec un système d'irrigation ingénieux. Toutes les sortes de plantes que les grands-mères martiniquaises ont toujours utilisées y poussent: l'aloès, le japana rouge, l'orthosiphon, le gros thym, le framboisin et les graines de Job dont on fait des colliers que les enfants portent autour du cou pour les aider à trouver le sommeil.

 

Quelques dates

Il y a 2000 ans, peuplée par les Arawaks.

Il y a 1000 ans, extermination des Arawaks par les Amérindiens des Caraïbes.

1502: Christophe Colomb arrive en Martinique.

1635: Le Français Belain d'Esnambuc colonise l'île.

1669: Fondation de Fort-Royal (Fort-de-France).

1848: Abolition de l'esclavage: 70 000 esclaves libérés.

1902: Éruption de la montagne Pelée: 30 000 morts.

1946: La Martinique devient un département français.

2008: Décès du poète Aimé Césaire, héros martiniquais de la «négritude».

 

Repères

La Martinique est située entre la Dominique au nord (40 km) et Sainte-Lucie au sud (30 km), et entre la mer des Caraïbes à l'ouest et l'Atlantique à l'est. Aucun endroit de l'île n'est à plus de 12 km de la mer. Il y a 400 000 habitants, dont le quart vivent à Fort-de-France.

La Martinique a été un peu oubliée des Québécois ces dernières années en raison du manque de liens aériens et des grèves à répétition. Après la crise sociale du mois dernier, avec des manifestations parfois violentes, la situation est redevenue «normale».

> S'y rendre

Air Canada a décidé de reprendre ses vols directs tous les samedis, du 4 juillet au 29 août, et de façon permanente à partir du 5 décembre 2009.

> Randonnée

Il est conseillé d'acheter une carte topographique IGN au 1/25 000e ou le topoguide de la Fédération française de randonnée pédestre, La Martinique à pied. Il est bien d'avoir aussi des chaussures de marche (plutôt que des chaussures de sport, à cause de la boue), et un imperméable adapté aux tropiques car en montagne, sur la partie nord de l'île, il pleut souvent (8 m d'eau par an).

Le camping est interdit en Martinique. Les gîtes ruraux et les petits hôtels de région sont toujours propres et bien aménagés.

Conseil pour les soirées: choisir des restaurants qui offrent des animations musicales. Que ce soit le patron qui joue de la guitare ou des artistes invités, en plus de découvrir de nouvelles saveurs, vous êtes souvent invités à faire quelques pas de biguine ou de zouk...

> Renseignements

Société de randonnées Ekokay, www.ekokay.com

Réseau de gîtes TakTak, www.taktak-martinique.com

La Savane des esclaves, www.lasavanedesesclaves.fr

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Les frais de ce voyage ont été payés par le Comité martiniquais du tourisme.