Best-seller traduit en 47 langues, la Trilogie berlinoise de Philip Kerr et les autres enquêtes de Bernie Gunther (La mort, entre autres et Une douce flamme) nous entraînent dans le Berlin qui a vu le nazisme monter, éclore, s'effondrer. Un Berlin qui revit dans les romans de l'écrivain. Le domaine du journaliste Alex Taylor se situe plutôt du côté est de la ville. C'est le Berlin d'aujourd'hui. Celui des restos branchés, des marchés bios, des boîtes courues, des apparts rénovés où vivent bobos et jeunes familles. Deux parcours tout en contrastes.

Le Berlin du romancier Philip Kerr n'existe plus. Il parvient pourtant à le faire revivre dans sa Trilogie berlinoise où la ville, l'Allemagne, le nazisme sont vus à travers les yeux de cet Allemand ordinaire qu'est Bernie Gunther. Policier, détective privé, pris au dépourvu par la transformation d'une société qu'il a toujours cru sienne jusqu'à ce qu'elle lui devienne étrangère.

Pour dire cet homme, pour se mettre dans ses pas, Philip Kerr a fait et fait encore des recherches. Beaucoup. Et il a marché et marche encore dans cette ville fascinante. Beaucoup. À sa main, un plan. Oh, mais pas n'importe lequel. Un Baedeker qui date de 1930. C'est dans ces pages reliées de cuir rouge que se trouvent «son» Berlin et celui de Bernie Gunther. Et c'est dans ce Berlin-là qu'il a servi de guide à une poignée de journalistes.

Le point de rencontre était bien sûr l'hôtel Adlon, où Bernie Gunther demeurera, travaillera et vivra même une mémorable partie de jambes en l'air dans une certaine chambre. D'accord, ce palace sis près de la porte de Brandebourg, qui a accueilli les Chaplin, Garbo (elle y a tourné Grand Hôtel) et Steinbeck, n'est pas exactement celui du roman puisqu'il a été bombardé et incendié pendant et après la guerre. Mais il a été rebâti à l'identique.

De là, nous partons vers le bunker où Hitler s'est suicidé... maintenant transformé en terrain de stationnement - seule une plaque commémorative explique le passé des lieux. Nous passons devant le lieu commémoratif de l'Holocauste et ses 2711 stèles de béton entre lesquelles il faut prendre le temps de déambuler: elles n'étaient pas là au temps de Bernie Gunther mais elles transmettent, un peu, l'atmosphère oppressante de l'époque et du drame. La quasi-cohabitation des deux lieux est extrêmement troublante.

Photo: Sonia Sarfati, La Presse

Ici se dressait jadis le siège social des S.S. et de la Gestapo.

C'est ensuite la Wilhelmstrasse, large avenue qui, de 1875 à 1945, a été le coeur politique du Reich et qui, encore de nos jours, sert de quartier général aux politiques. On peut y voir l'immeuble abritant le ministère de l'Agriculture et du Travail et, surtout, le bâtiment écrasant qui, au temps de Bernie Gunther, était occupé par le ministère de l'Armée de l'air de Göring, aujourd'hui le ministère des Finances.

Quelques minutes de plus et nous arrivons sur le site «Topographie de la terreur», dont le musée s'ouvrait justement le jour de notre passage, le 7 mai. Ce cube de béton a été érigé tout près des vestiges du Mur les mieux conservés du côté ouest de la ville et sur les ruines de l'ancien palais Prinz-Albrech qui a abrité le siège des S.S., de la Gestapo et des forces de la police - dont Bernie Gunther a fait partie. Il est facile, en longeant les fondations dudit palais et des caves éventrées où 15 000 opposants au régime nazi ont été emprisonnés et torturés, d'imaginer le policier déambuler, ployé par le fardeau de sentiments contradictoires. D'autant plus facile qu'une visite du musée, où l'on trouve une incroyable exposition de photographies, permet de croiser le regard d'un de ses patrons, Rudolf Diels, protégé de Göring qui deviendra le premier chef de la Gestapo.

Un taxi pour les paresseux, une vingtaine de minutes de marche pour les autres nous conduisent à la nouvelle synagogue de Berlin, dans l'Oranienburgerstrasse. Un bâtiment chargé. Architecturalement et historiquement parlant. Au milieu du XVIIIe siècle, elle était la plus grande synagogue d'Allemagne. Puisque la communauté juive de Berlin considérait la ville comme un endroit où il faisait bon vivre, elle s'y était installée en grand nombre. Mais sous l'ère d'Hitler, la synagogue a été désacralisée, bombardée, démolie. Par la suite, sa façade et sa coupole ont été reconstruites selon l'original.

Là encore, Philip Kerr a envoyé Bernie Gunther en ces lieux tandis qu'il mène l'enquête relatée dans Une douce flamme. Douce comme celle qui, en cette fin de journée, semble allumer l'imposante coupole recouverte de feuilles d'or du bâtiment. La fiction se mêlant à la réalité.

Les frais de voyage ont été payés par les éditions du Masque.

Photo: Sonia Sarfati, La Presse

La synagogue de Berlin