L'air est chargé de l'odeur de terre mouillée laissée par l'averse tropicale qui vient de déferler. Le vert des rizières luisantes de pluie est si vif qu'il semble fluorescent. Seul le «ploc-ploc» des palmiers qui dégouttent dans l'eau vient troubler le silence.

Notre palace flottant glisse tranquillement sur l'eau. Nombre de sources de stress aux environs : zéro.

Nous nous sommes embarqués pour 24 heures sur un de ces bateaux maisons qui sillonnent les «backwaters» dans l'État du Kerala, dans la pointe sud de l'Inde. Une expérience que les guides Lonely Planet ont inscrite dans leur liste des «dix choses à faire avant de mourir». Lunettes soleil au visage, un verre de toddy à la main (une bière faite de sève de cocotier), nous approuvons le choix.

 

Les «backwaters» sont un incroyable réseau de 900 kilomètres de canaux, lacs, rivières et lagunes séparés de l'océan Indien par une mince bande de terre. Si certains canaux ont été creusés par l'homme, ce sont les vagues et les marées qui ont formé au fil des siècles la plus grande partie de ce labyrinthe.

Plonger dans cet univers à bord d'un bateau est une expérience fascinante. Les rizières remplies d'oiseaux marins succèdent aux villages avec leurs petites églises colorées, leurs mosquées ou leurs temples hindous. En fin d'après-midi, les enfants en uniformes reviennent à la maison en pirogue tandis que les travailleurs filent à toute allure dans des bateaux à moteur. Sur les berges, des femmes en saris colorés lavent les vêtements dans l'eau des lagunes.

À bord du bateau, la vie est belle. On regarde défiler les paysages, on lit, on prend du soleil. C'en est complètement gênant : nous sommes le seul couple à bord, mais trois membres d'équipage veillent à notre bien-être - un pilote, un homme à tout faire et un cuisiner qui nous concocte de savoureux repas de poisson grillé, curry au coco et autres spécialités du Kerala.

Au coucher du soleil, un vieux pêcheur nous offre de faire un tour de pirogue. Pourquoi pas? L'homme nous engueule vertement en malayalam, la langue de l'endroit, de toute évidence fort insatisfait de nos techniques d'aviron pourtant apprises consciencieusement sur les lacs de la Mauricie. Peu importe : la balade est tout de même agréable et nous permet de nous dégourdir un peu.

De retour au bateau, c'est le festin, suivi d'un incroyable ciel étoilé. Nous contemplons le spectacle, couchés sur le pont, avant de jouer une petite partie de cartes avec l'équipage.

Puis c'est le temps de regagner notre cabine, qui ne manque d'aucun confort. Lit moelleux, électricité et douche sont au rendez-vous - avec, en prime, le léger percement des vagues pour nous faire sombrer dans le sommeil. Au petit matin, ne reste qu'à détricoter tout le chemin parcouru pour revenir sur la terre ferme et conclure un voyage inoubliable.

 

QUELQUES COUPS DE COEUR

Si les «backwaters» sont sans contredit le point fort de tout voyage au Kerala, les attraits supplémentaires ne manquent pas dans cet État atypique, longtemps communiste, où la frénésie de l'Inde fait place à une langueur tranquille et sympathique.

Voici quelques coups de coeur de notre voyage.

Cuisiner avec Leelu

Fort Cochin, sur la côte, est reconnu pour ses églises portugaises, son cimetière hollandais et son quartier juif. Port de commerce depuis des siècles, la ville a vu débarquer nombre d'Européens au fil des siècles, qui y ont laissé des vestiges fascinants à explorer.

Les berges de la ville sont marquées par les immenses filets de pêche à leviers, d'influence chinoise, C'est de toute beauté quand la lumière du soleil couchant vient filtrer dans les cordages.

Reste que notre coup de coeur à Fort Cochin demeure la soirée passée avec l'hôte de notre petite auberge, Leelu. La dame organise régulièrement des cours de cuisine, toujours très courus par les étrangers. Le curry de thon frais qu'on y a préparé valait à lui seul le billet d'avion vers l'Inde. Nous y avons aussi appris les secrets du thoran (des légumes au coco), du ulathu (légumes épicés), du sambar (une sauce pour le riz) et de la cuisson des chapatis.

Bains de soleil inespérés

Entrepris en pleine mousson dans un État reconnu pour ses pluies diluviennes, notre voyage n'avait pas été planifié en fonction des plages. Mais sur place, surprise : sauf quelques rares averses, le soleil a été au rendez-vous.

Nous n'avons pu résister à l'appel du sable chaud. Laissant Kovalam aux touristes qui aiment se battre pour un coin de plage, nous avons d'abord mis le cap sur Cherai Beach, située sur une petite île près de Cochin. L'endroit se gagne par un voyage de traversier et une randonnée en autobus local géniale, qui traverse des villages où tout le monde veut parler aux étrangers.

Sur place, les touristes se font rares. Les petits enfants bruns batifolent dans l'eau pendant que les femmes se baignent en sari, parsemant la plage de touches de couleur.

La plage de Varkala, plus au sud, est nettement plus touristique, mais absolument spectaculaire. Le croissant de sable est niché au pied d'une falaise. Au sommet de celle-ci se trouvent les auberges et les restos, dont certains offrent des vues imprenables sur l'océan.

Les deux pieds dans les épices

Si ce sont les plages et les croisières qui attirent aujourd'hui les étrangers au Kerala, c'est un tout autre attrait que convoitaient les premiers Européens qui sont débarqués ici : les épices.

Encore aujourd'hui, on dit que cet État produit certaines des meilleures épices de la planète. Elles poussent dans des plantations magnifiques situées sur les flancs des Ghâts occidentaux, une chaîne de montagnes qui sépare le Kerala de l'État voisin du Tamil Nadu.

Depuis la côte, on s'y rend à bord d'autobus qui grimpent à grand-peine les routes escarpées. Au fur et à mesure de l'ascension, la chaleur humide fait place à une fraîcheur d'abord bienvenue, puis un peu frisquette pour ceux qui n'ont pas trop prévu le coup.

À Kumily, ce sont les plantations de thé à flanc de montagne qui volent la vedette. Les groupes d'arbustes, découpés en carreau, forment ce qui ressemble à une courtepointe qu'on aurait jeté sur les montagnes.

Mais il pousse également ici du poivre, de la vanille, de la cardamome, du café et bien d'autres choses. Visiter les plantations est un plaisir pour les yeux et les narines, mais aussi une expérience très instructive.

Les voyageurs qui ont davantage de temps en profiteront pour explorer la réserve faunique du Periyar, à deux pas de là.

Photo: Philippe Mercure, La Presse

Les femmes en sari ajoutent de la couleur à la plage de Cherai Beach, près de Fort Cochin.

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REPÈRES

Le Kerala est situé tout au sud de l'Inde. La capitale, Thiruvananthapuram (anciennement Trivandrum), est desservie par des vols internationaux. Sinon on peut atterrir n'importe où en Inde et s'y rendre par un vol intérieur bon marché, ainsi qu'en train ou en autobus.

Les croisières sur les «backwaters» se font principalement à partir de la ville d'Alappuzha (anciennement Alleyppey). Les prix et les types de bateaux sont grandement variables. En basse saison (notre été, qui correspond à la mousson indienne), nous avons payé 3000 roupies chacun (environ 70 $) pour 24 heures sur un véritable palace flottant.

La meilleure période pour visiter le Kerala est d'octobre à mars, quand la saison des pluies est terminée et que la chaleur se fait moins accablante. Mais la mousson a aussi ses avantages : les sites sont moins achalandés, les prix plus abordables et les violentes averses, à condition d'être à l'abri, sont des spectacles en soi.

Photo: Philippe Mercure, La Presse

Une plantation de thé sur les collines qui entourent la petite ville de Kumily, dans les Ghâts occidentaux.