C’est un projet un peu fou : transformer un vieil immeuble en béton d’architecture brutaliste, construit en 1970 au nord de New York, en hôtel net zéro, qui produit donc toute l’énergie dont il a besoin. L’ouverture imminente de l’hôtel Marcel fait tourner les têtes au moment où l’industrie touristique cherche aussi à se décarboner…

En dépit de son statut d’exemple remarquable d’architecture moderne, l’édifice Pirelli à New Haven, au Connecticut, est resté vacant pendant plus de 20 ans. Conçu par l’architecte réputé Marcel Breuer, il a même été en partie démoli en 2003 pour faire place au stationnement du magasin IKEA voisin. Mais il s’apprête à revivre enfin, transformé en hôtel de 165 chambres. Et si l’immeuble a plus de 50 ans, il n’a rien de rétrograde. Au contraire. Alimenté en électricité exclusivement par des panneaux solaires, il abritera l’un des hôtels les plus verts des États-Unis.

PHOTO ZACH PONTZ, TIRÉE DU SITE DE BECKER + BECKER

L’immeuble qui abrite le Marcel a été laissé vacant pendant deux décennies avant d’être entièrement rénové avec des matériaux recyclés.

Le projet innovateur, qualifié par ses artisans d’« exploit utopique d’ingénierie durable », suscite l’intérêt de nombreux médias américains qui y ont consacré des reportages.

La firme Becker + Becker, qui a rénové l’immeuble avec des étages qui paraissent suspendus dans le vide, n’a rien laissé au hasard en vue d’obtenir de prestigieuses certifications de bâtiment durable (LEED Platine et Passive House). En plus d’utiliser des matériaux recyclés, elle a étanchéifié l’enveloppe du bâtiment et installé un système d’éclairage qui fonctionne avec des lampes électroluminescentes (DEL). Résultat : l’hôtel Marcel consommera 80 % moins d’énergie que la moyenne des hôtels américains.

PHOTO ZACH PONTZ, TIRÉE DU SITE DE BECKER + BECKER

D’importants travaux ont été mené sur l’immeuble de l’hôtel Marcel pour en faire un établissement net zéro.

Or, côté confort, les clients n’y verront que du feu, promet-on. Sauf dans les cuisines du restaurant, où tout sera préparé, là encore, avec des équipements électriques – sans flamme, donc.

  • La décoration de chambres de l’hôtel est assez minimaliste.

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE BECKER + BECKER

    La décoration de chambres de l’hôtel est assez minimaliste.

  • Partout dans l’hôtel, certains éléments reprennent des motifs et des formes inspirés du Bauhaus, un courant artistique auquel a un temps adhéré l’architecte Marcel Breuer.

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE BECKER + BECKER

    Partout dans l’hôtel, certains éléments reprennent des motifs et des formes inspirés du Bauhaus, un courant artistique auquel a un temps adhéré l’architecte Marcel Breuer.

  • Le décor, signé Dutch East Design, est assez sobre, mais chic.

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE BECKER + BECKER

    Le décor, signé Dutch East Design, est assez sobre, mais chic.

  • L’hôtel Marcel tire toute son énergie électrique des panneaux solaires qui sont installés sur le toit et dans le stationnement de l’établissement.

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE BECKER + BECKER

    L’hôtel Marcel tire toute son énergie électrique des panneaux solaires qui sont installés sur le toit et dans le stationnement de l’établissement.

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Les premières images des chambres, louées à partir de 229 $ US la nuit, sont invitantes. Le décor signé Dutch East Design est assez sobre, mais chic, dans des tons caramel, avec ici et là des panneaux de bois. Partout dans l’hôtel, certains éléments reprennent des motifs et des formes inspirés du Bauhaus, courant artistique né en Allemagne au début du XXsiècle dans l’école du même nom, qu’a fréquentée Marcel Breuer.

Une lourde empreinte

L’hébergement est responsable d’environ 21 % des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie touristique, selon une étude financée en partie par les Nations unies en 2008. C’est beaucoup moins que les transports (75 %), mais en 2019, ces émissions représentaient néanmoins l’équivalent de 324 millions de tonnes de CO2. Devant l’urgence climatique, il est « de la plus haute importance de décarboner le secteur le plus rapidement possible », plaide le Conseil mondial du voyage et du tourisme.

Les voyageurs semblent d’ailleurs impatients de voir d’autres projets comme le Marcel. Dans un sondage réalisé l’an dernier par le système de réservation Booking.com auprès de 29 000 voyageurs de 30 pays, 72 % des répondants souhaitaient que l’industrie leur propose davantage d’options de voyages plus durables.

Au Québec, une enquête de la Chaire de tourisme Transat concluait aussi en décembre 2021 que les deux tiers des voyageurs aimeraient parcourir le monde de façon plus responsable. La moitié des 1206 répondants se disaient même prêts à modifier leurs habitudes pour réduire leur empreinte de carbone, mais à peine le quart étaient disposés à payer plus pour y parvenir.

Marie Pier Germain, vice-présidente, ventes et marketing, chez Germain Hôtels, qui possède des établissements un peu partout au pays, fait à peu près le même constat.

PHOTO FOURNIE PAR GERMAIN HÔTELS

Marie Pier Germain, vice-présidente, ventes et marketing, chez Germain Hôtels

Il y a des clients qui s’attendent à ce que leur hôtel ait pensé à l’environnement pour eux. Mais ce n’est pas gratuit, tout ça. Est-ce que les gens sont prêts à payer plus cher ? Je ne le sais pas.

Marie Pier Germain, de Germain Hôtels

N’empêche, l’enjeu préoccupe le groupe hôtelier québécois, qui a notamment investi d’importantes sommes dans des systèmes de chauffage géothermique depuis 2007, par exemple aux hôtels Alt et Escad du Quartier DIX30. « Creuser, c’est vraiment cher, mais les rendements de l’investissement ont été meilleurs que prévu », explique Mme Germain.

Béton d’ici

Un peu à l’image de ce qui s’est fait au Connecticut, Germain Hôtels a aussi rénové de fond en comble un immeuble en béton. Situé rue Mansfield, au centre-ville, le bâtiment construit en 1967 abrite Le Germain Montréal depuis 1999. « J’ai tripé », dit la vice-présidente à propos de ce projet de 30 millions.

L’hôtel montréalais n’est pas net zéro, mais rénover le bâtiment, plutôt que le démolir pour repartir à neuf, est en soi un geste vert. Et un défi colossal. Plafonds bas, façade porteuse, colonnes immuables : les responsables du projet « ont cherché à créer des occasions pour faire du design intéressant », raconte Marie Pier Germain. « Le lobby à Montréal est tout petit, avec des plafonds très bas. On a utilisé cet aspect pour faire un espace très chaleureux, cozy. On a aussi repris la forme des poutres pour faire des douches qui rappellent la devanture. On s’amuse avec ça aussi. »

  • Le Germain Montréal compte quatre étages de plus, posés sur le toit.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

    Le Germain Montréal compte quatre étages de plus, posés sur le toit.

  • Une œuvre murale colorée a aussi masqué les réparations effectuées sur le béton de la façade.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

    Une œuvre murale colorée a aussi masqué les réparations effectuées sur le béton de la façade.

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Une œuvre murale colorée a aussi masqué les réparations effectuées sur le béton de la façade. Parce que sa structure le permettait, Le Germain Montréal compte quatre étages de plus, posés sur le toit. L’agrandissement a ajouté 35 chambres à l’établissement (pour un total de 136), une façon de rentabiliser l’investissement.

Or, les travaux se sont terminés quelques mois à peine avant la pandémie... qui a limité les capacités d’innovation de ses propriétaires. « Mais nous n’allons pas nous asseoir sur nos succès. On peut toujours s’améliorer, grâce aux technologies, aux nouvelles idées, dans les limites imposées par nos invités, fait remarquer Mme Germain. Par exemple, ce n’est pas tout le monde qui accepte qu’on ne change pas les serviettes chaque jour. » Pour des hôtels plus verts, les clients aussi ont un bout de chemin à faire...

En savoir plus
  • 41 %
    Proportion de voyageurs qui ont indiqué ne pas savoir comment trouver des options de voyages durables dans un sondage réalisé par l’agence de réservations Booking.com en avril 2021
    Source : Booking.com