Il faudra encore patienter un peu avant de pouvoir s’envoler vers des destinations éloignées. En attendant, pourquoi ne pas explorer les archives de La Presse et lire des reportages touristiques d’une autre époque ? Certains ont assez bien vieilli, d’autres moins. Au cours des prochaines semaines, nous présenterons de petites trouvailles qui nous permettent de voir le monde à travers les yeux des voyageurs de l’époque.

Ce n’était pas l’idée du siècle : faire le tour de la Gaspésie en trois jours. Évidemment, le journaliste n’a pas vu grand-chose. Il a écrit un reportage touristique dévastateur. Les lecteurs ont vivement protesté, enterrant La Presse sous une masse de lettres courroucées. On ne s’en prend pas impunément à une région que les touristes adoraient déjà en 1965.

Le journaliste Jean-Guy Pilon part sans idées préconçues, mais sans grand enthousiasme.

Je suis allé en Gaspésie sans images préalables, sans préjugés favorables ou défavorables, dans la seule intention de voir. Faire le tour de la Gaspésie, c’est une chose assez banale sans doute, mais cela fait presque partie d’un groupe d’obligations auxquelles on doit se soumettre une fois dans sa vie. Il suffit, un bon jour, que l’on ait une raison valable et l’on se retrouve sur la route, en direction de Percé, les yeux grands ouverts.

Ça commence quand même plutôt bien. Le journaliste fait même preuve d’un peu de lyrisme dans ses descriptions.

La partie la plus intéressante de la péninsule est celle qui va de Sainte-Anne-des-Monts à Gaspé : la route longe le fleuve qui devient golfe et qui devient mer, le roc des montagnes présente des dessins et des lignes qui se renouvellent sans cesse, les petites baies constituent des abris naturels pour les bateaux de pêche ou ce qu’il en reste.

Et puis, il y a Percé : un petit village de rien du tout où les boutiques de souvenirs succèdent aux motos et aux postes d’excursion. À Percé, il y a deux choses qui sont belles : d’abord le rocher qui est saisissant mais qui est malheureusement caché trop souvent par les hôtels et autres maisons bâties du côté de la mer.

L’autre attrait de Percé, c’est le Centre d’art, installé dans une vieille grange qui a été rénovée et transformée avec application. On y trouve un théâtre, un cinéma, des salles d’exposition, des salles de cours pour les enfants, etc. Le tout, il faut le redire, est arrangé avec goût, discrétion et imagination.

C’est à partir de ce moment que ça se gâche. Sérieusement.

Le reste est fort décevant : la pêche ne paie plus et les quelques pêcheurs qui restent encore sur place font du taxi entre le port et l’île Bonaventure. […] Avec la pêche qui disparaît, la Gaspésie aura perdu un de ses grands attraits.

Il faut aussi dire les choses comme elles sont : le climat de la Gaspésie est un climat froid : la température est souvent maussade, et il n’est pas rare de traverser, à la suite, plusieurs jours de pluie. Et puis, il y a la grande pauvreté des lieux et des gens, leur misère, leurs installations de fortune. La nature elle-même est pauvre et démunie, l’image même de la désolation. Les arbres sont rares le long des routes et autour des maisons. Parfois, quelques misérables épinettes. Les villages sont pauvres, gris et souvent sordides. On les traverse l’un après l’autre sans surprise, avec un peu plus de nostalgie, en imaginant ce que peut être l’hiver, pendant les tempêtes, quand les routes sont fermées et que les habitants se retrouvent seuls…

La cuisine locale ne trouve pas grâce aux yeux du journaliste. Il déplore également ce qui ne s’appelait pas encore la « pollution visuelle ».

Il y a encore de grands progrès à faire du côté de la cuisine : si les cabanes à « hot-dogs » pullulent, les relais gastronomiques sont rares. Autre gigantesque travail qui attend l’un ou l’autre des ministères : la suppression des panneaux-réclame le long des routes, dans les villages et à l’abord des villages ; il faudrait aussi passer des lois pour interdire aux gens qui construisent des garages ou des restaurants de le faire n’importe comment, en faisant étalage de tout le mauvais goût imaginable.

Le journaliste croit avoir trouvé la raison pour laquelle le tourisme avait beaucoup diminué cette année-là en Gaspésie. Son raisonnement a toutefois de quoi surprendre.

Je vois, pour ma part, à cette diminution du tourisme canadien et américain en Gaspésie une autre cause que l’on ne mentionne jamais mais à laquelle il faut la peine de s’arrêter : c’est que ce n’est peut-être pas une région touristique. Je crois que la plupart des gens qui ont fait le tour de la Gaspésie une fois l’ont fait pour longtemps. Et ils conseillent rarement à d’autres de suivre leur exemple.

La réaction des lecteurs a été si vive que La Presse a dû faire amende honorable la semaine suivante.

Il faut croire que « la péninsule » exerce encore un charme puissant car de fort nombreux lecteurs se sont spontanément portés à sa défense, inondant de lettres le paisible cahier touristique de La Presse guère habitué, faut-il l’avouer, à provoquer des polémiques.

Le quotidien reproduit deux de ces lettres, qui décrivent des attraits de la Gaspésie et qui condamnent le regard rapide porté par le journaliste. Marc Angers, de Pointe-Claire, conclut ainsi sa missive :

En trois jours, à 60 milles à l’heure, je pourrais « faire le tour de la Gaspésie » ; première étape : Montréal-Matane, 400 milles ; deuxième étape : Matane-Percé : 250 milles ; troisième étape : Percé-Montréal ; 650 milles ; j’en reviendrais peut-être abruti, et j’écrirais peut-être des âneries.

On peut naviguer dans les archives de La Presse, et d’autres journaux québécois, sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).

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