Parce que les voyages futurs sont nimbés de beaucoup d’incertitude, nous avons décidé de jeter un œil dans le rétroviseur. La Presse a demandé à ses lecteurs d’envoyer de vieilles photos de vacances. Plusieurs ont répondu à l’appel, avec des photos touchantes qui, mises bout à bout, deviennent un instantané des destinations prisées par les Québécois il y a 40 ou 50 ans. Mieux, plusieurs de ces clichés témoignent d’une façon de voyager qui semble ne jamais se démoder. Car hier comme aujourd’hui, les road trips et le camping ont la cote...

New York, 1971

Roger Gauthier en était à son premier voyage à New York lorsqu’il a pris ce portrait de celle qui allait devenir sa femme l’année suivante, Élisabeth Lenkiewicz. « Ma femme qui a des origines polonaises avait déjà visité la ville ; elle avait deux tantes et des cousins qui habitaient au New Jersey. On dormait chez une de ces tantes et chaque jour, on prenait l’autobus pour aller visiter New York à pied. »

Au début des années 70, la ville était en pleine effervescence, se rappelle M. Gauthier. « On voit d’ailleurs sur la photo que les tours du World Trade Center étaient en construction. Ce jour-là, on avait pris le bateau pour se rendre à l’île où se trouve la statue de la Liberté. C’est de là que j’ai pris la photo, avec mon premier appareil 35 mm, un modèle Praktika bas de gamme. »

Les deux amoureux, alors âgés lui de 26 ans et elle de 20 ans, passaient la journée à arpenter la ville. « C’était un peu dangereux sur la 42Rue, là où se situe le terminal d’autobus ; on rentrait toujours au New Jersey pour souper ! Ce n’était pas rassurant, mais la ville est devenue plus sécuritaire depuis », estime le résidant de Pierrefonds.

Reste que sa femme demeure un peu nostalgique du New York de l’époque : « La ville avait un petit côté délinquant qui me manque maintenant quand j’y vais ! Ça faisait partie du New York que j’ai connu à 16 ans… »

Daytona Beach, Floride, 1977

PHOTO FOURNIE PAR LOUISE BARIBEAU

Daytona Beach, Floride, 1977

Louise Baribeau et son mari ont toujours été des adeptes de camping. « On a eu quatre Westfalia dans notre vie et celle-ci était la première. Avec nos deux filles âgées alors de 4 et 6 ans, nous avons passé un mois en Floride pendant l’hiver 1977. Nous sommes passés par Miami puis par Daytona Beach, où nous nous sommes promenés sur la plage avec le véhicule ! On avait aussi visité Disney World, qui était beaucoup plus petit à l’époque », raconte la résidante de Trois-Rivières. « On dormait tous dans la Westfalia ; il n’y avait pas un coin de perdu ! Par contre, je ne referais pas les trois jours de trajet que ça prenait pour nous rendre… »

Île-du-Prince-Édouard, 1966

PHOTO FOURNIE PAR GÉRARD LAPERRIÈRE

Île-du-Prince-Édouard, 1986

Ces deux garçons en admiration devant l’immense toile de Jean Paul Lemieux sont Marc et Richard, les fils de Gérard Laperrière. La photo – qui a été primée dans un concours de photos organisé par La Presse en 1966 ! – a été prise dans ce qui s’appelait jadis le Musée des Pères de la Confédération, à Charlottetown.

Cette année-là, Gérard Laperrière et sa femme avaient envie de visiter les Maritimes pour ce qui allait être leur ultime voyage à quatre. « Le plus vieux de nos deux fils était atteint de la fibrose kystique du pancréas et il avait une espérance de vie de 7 ans ; lors de ce voyage de camping, il avait 6  ans et son frère, 4 ans. C’était un voyage spécial pendant lequel nous voulions faire voir à Marc des paysages extraordinaires. Richard, décédé il y a cinq ans, s’en souvenait aussi très bien. »

La maladie de Marc avait exigé des préparatifs supplémentaires, comme de dresser une liste de médecins à contacter au besoin tout le long de l’itinéraire qui les a menés, à bord de la Pontiac Acadian familiale, de Montréal au Nouveau-Brunswick et du Cap-Breton (Nouvelle-Écosse) à la péninsule nord-ouest de l’Île-du-Prince-Édouard. Mais le voyage s’est passé à merveille, sans que la maladie de l’aîné vienne brouiller ces journées de vacances, se rappelle M. Laperrière, de Sainte-Marcelline-de-Kildare.

« Ç’a été un voyage merveilleux. C’était la première fois qu’on sortait du Québec. On avait longé le fleuve par la rive sud, car l’autoroute 40 n’existait pas encore, et on avait pris le traversier pour aller à l’Île-du-Prince-Édouard. On campait dans une grosse tente française. Sur l’île Madame, on a connu une nuit d’orage épouvantable. C’était l’aventure pour les enfants. Ils s’émerveillaient de tout, même de la misère ! On a aussi visité plusieurs villages francophones ; ç’a été l’occasion de raconter aux enfants l’histoire des Acadiens. »

Marc s’est éteint un an et demi après être revenu des Maritimes, la tête pleine d’orages, de beaux paysages et d’histoires acadiennes.

Virginia Beach, Virginie, 1969

PHOTO FOURNIE PAR SYLVIE LEDUC

Virginia Beach, Virginie, 1969

Sylvie Leduc, de L’Île-Bizard, et sa sœur avait respectivement 6 et 3 ans lorsque la famille a décidé de partir en périple de camping à Virginia Beach et à Assateague Island, dans le Maryland. « Je m’en souviens très bien, car j’avais célébré mon anniversaire pendant le voyage. Mon père avait emprunté une vieille tente à un collègue. C’était une tente d’armée vraiment pas étanche, en grosse toile kaki. On dormait aussi sur des lits de camp en toile. L’année d’après, mon père a acheté une tente-roulotte abîmée après un accident avec un train. Il l’a réparée, et c’est avec elle qu’on a voyagé les années suivantes. »

Baja California, Mexique, 1984

PHOTO FOURNIE PAR MARIE-LUCIE ROY

Désert de Sonora, Mexique, 1984

C’est au cours d’une traversée des États-Unis qui a duré cinq mois que Marie-Lucie Roy et son mari ont posé les roues de leur Econoline modifié dans le désert du Sonora, dans la Baja California mexicaine. Ils rêvaient depuis leur départ de Montréal, en novembre 1983, de voir « ce grand désert qui se termine dans le Pacifique ».

« On pouvait dormir dans l’Econoline et y faire la cuisine, raconte la résidante de Pointe-Saint-Charles. Mon mari, qui est décédé en 2005, l’avait baptisé Brownie, à cause de sa couleur. Tout l’intérieur était en tapis shag à poils très longs : un brin orange, un brin jaune… »

De toute évidence, Brownie servait aussi de promontoire pour regarder au loin. « Rodolphe montait souvent sur le toit pour voir la route. Pour se trouver des endroits tranquilles où camper, on s’éloignait de la Transpeninsular Highway, la route fédérale 1 mexicaine. Il n’y avait pas de GPS : on y allait au pif et avec des cartes. Et on aimait dormir sur le bord de l’eau, dans des endroits peu accessibles. »

Ils ont roulé ainsi, au pif, jusqu’à l’ultime pointe de la Baja California, à Cabo San Lucas. « À l’époque, ce n’était qu’un petit village surplombé par une colline, avec une vue incroyable sur le Pacifique. Il n’y avait que quelques touristes. Aujourd’hui, c’est une destination de tout-inclus. »

Charlevoix, 1972

PHOTO FOURNIE PAR DAVID BEAULIEU

Baie-Saint-Paul, Charlevoix, 1972

À l’été 1972, David Beaulieu a eu un long congé de trois journées entre la fin de son travail d’été, à La Tuque, et le début de ses études en médecine, à l’Université Laval. « C’est moi avec la barbiche, au camping des Genévriers à Baie-Saint-Paul. Avec mon ami René Comeau, on avait décidé de partir en camping dans Charlevoix en passant par le Lac-Saint-Jean. C’était mon tout premier voyage de camping et on était partis avec ma première voiture en plus : une Renault 12 neuve, faite au Québec. C’était déjà une aventure de voyager avec une voiture aussi fragile. On a dû rajuster le ralenti du moteur en chemin, à L’Isle-aux-Coudres… J’ai gardé cette voiture pendant trois ans et j’ai dû changer huit fois le silencieux ! »

Le résidant de Shawinigan se souvient aussi d’une nuit passée à camper sur le bord de la route entre La Baie et Charlevoix, où le duo s’était fait prendre par la noirceur. « On n’avait presque pas d’eau : on s’est retenu de boire toute la soirée pour s’apercevoir le lendemain matin qu’on dormait à 250 m d’un lac ! »

Gaspésie, 1978

PHOTO FOURNIE PAR NATHALIE CLAIROUX

Percé, Gaspésie, 1978

Pour la famille de Nathalie Clairoux, le périple de quatre jours en Gaspésie qui les a menés à Percé — et à son fameux rocher — représentait le tout premier voyage fait en famille. « On est partis de Québec, mes parents, mes deux frères et moi, dans la Buick couleur crème, à panneaux de faux bois. C’était un modèle avec le troisième banc qui faisait dos à la route. On pouvait faire des bye-bye à mon oncle Jacques qui nous suivait avec nos grands-parents. »

« J’avais 10 ans, dit la femme qui habite aujourd’hui Beaconsfield. C’était la première fois que j’allais dans un hôtel, je pensais qu’on était très riches ! Je me suis aussi fait une amie à la piscine et j’ai pensé que nous allions correspondre pour toute la vie… Ce n’est pas arrivé ; j’ai oublié de prendre son adresse en partant ! »

L’un de ses souvenirs les plus marquants est rattaché à Fort-Prével, où la famille avait passé la nuit. « Avec mes frères, on avait joué à l’armée et aux espions dans les fortifications de Fort-Prével. On avait l’impression que c’était une forteresse. Lorsque j’y suis retournée, en 1992, j’ai été déçue : le fort est plutôt rudimentaire. Tout est plus grand quand on est petit… »

Californie, 1979

PHOTO FOURNIE PAR MARIE-CLAUDE LEROUX

Désert d’Anzo Borrego, Californie, 1979

Le ciel est tombé sur la tête de Marie-Claude Leroux et de sa sœur à la fin des années 70. Les deux fillettes de 12 et 10 ans ont dû quitter leurs amis pour s’installer pendant un an à San Diego, en Californie. « Mon père avait eu une année sabbatique pour faire de la recherche en mathématiques. Ma sœur et moi ne parlions pas anglais ; on n’était vraiment pas contentes d’être déracinées. Pourtant, cette année a été l’une des plus belles de ma vie. »

La famille est partie de Montréal dans une Dodge Chrysler caramel, avec à son bord quatre passagers et tout le matériel nécessaire pour un an.

« Dès que mon père avait un congé, on partait explorer des parcs autour de la Californie, comme ici dans le désert d’Anzo Borrego. On campait dans une tente et je me souviens qu’il faisait très froid la nuit et très chaud le jour. Je me souviens aussi qu’il y avait des serpents ; ma sœur avait tellement peur », se souvient la Longueuilloise.