Tous les avions sont cloués au sol. Voyagerons-nous différemment quand ils auront de nouveau le droit de s’envoler ? Et surtout : volerons-nous moins ?

C’est du moins le souhait exprimé haut et fort par plusieurs experts en matière de climat et de tourisme durable ces dernières semaines. « La crise provoquée par le coronavirus nous offre peut-être une occasion inattendue de modifier nos comportements si nous voulons éviter les conséquences les plus désastreuses des changements climatiques », constatait ainsi la semaine dernière, dans les pages éditoriales du Guardian, Nicole Badstuber, chercheuse en politique publique des transports au collège de Londres.

Des propos qui n’auraient pas déplu à Dominic Champagne, instigateur du Pacte pour la transition, qui ne rêve certainement pas d’un retour à la normale d’avant, espérant plutôt que cette crise serve de passerelle entre le monde d’hier et celui de demain, où l’on voyagerait tout simplement moins, quitte à imposer des quotas de nombre de vols par personne par période X.

Dans un contexte de crise sanitaire et financière, « les préoccupations écologiques peuvent avoir l’air bien éloignées », reconnaît Freya Higgins-Desbiolles, professeure à l’Université du Sud de l’Australie, spécialiste de la question du tourisme durable. Pourtant, elle est d’avis qu’on pourrait observer — et elle l’espère — un changement de comportements.

Cette crise fait prendre conscience aux gens de l’importance de leur relation avec la nature : même les parcs urbains sont perçus comme de précieux alliés pour gérer le stress de la situation.

Freya Higgins-Desbiolles

L’humain post-COVID sera donc peut-être plus sensible aux questions environnementales que celui d’avant. « On voit déjà, en quelques semaines, des impacts de la réduction des déplacements sans contrainte : la pollution est en baisse, la faune revient là où elle avait été chassée par l’homme », etc.

Nos habitudes de consommation ont changé du tout au tout par la force des choses. On s’habitue à moins. Le commun d’hier apparaît futile aujourd’hui, relève Freya Higgins-Desbiolles. « Notre priorité, aujourd’hui, est de faire en sorte que notre demeure soit la plus agréable et intéressante possible, et c’est important. On avait pris l’habitude de voyager partout dans le monde sans trop se poser de questions », simplement parce qu’on en avait la possibilité. Voudrons-nous encore partir à tout prix quand on est si bien chez soi ? « Quand nous allons quitter notre confinement, il est possible que nous privilégiions la qualité des voyages, plutôt que la quantité. » 

Un avis que partage Pascale Marcotte, professeure de tourisme à l’Université Laval. « On prend goût au “luxe” à la maison, à être bien chez soi, avec sa famille », plutôt qu’à chercher la recette du bonheur ailleurs, explique-t-elle.

La recherche d’un air plus pur

Ce ne sont donc pas uniquement des considérations écologiques qui dicteraient une éventuelle baisse du nombre de déplacements en avion par habitant. « Même si la vie reprend à peu près normalement, ça va prendre du temps avant que la confiance se rétablisse, qu’on se sente à l’aise de se retrouver avec 500 personnes », que ce soit au moment de prendre l’avion ou de visiter l’un de ces sites archi-populaires où, il n’y a pas si longtemps encore, on n’hésitait pas à jouer du coude pour se faire prendre en photo et garnir son compte Instagram.

Du coup, les destinations tendance de demain ne seront probablement plus les mêmes que celles d’hier. « On va plus courir les campagnes, les montagnes, les plus petites routes, où on va essayer de ne pas trouver grand monde », croit Pascale Marcotte, traçant un parallèle avec les débuts du tourisme au Québec. Quand, au début du XIXe siècle, les Montréalais fuyaient la pollution de la ville pour s’établir un mois ou deux à la campagne, à la recherche d’un air plus pur. La roue tourne.

« On pourrait imaginer que les parcs nationaux vont être très, très populaires » l’été prochain, renchérit Paul Arsenault, de la chaire de tourisme Transat de l’UQAM. Le tourisme local sera le premier à profiter de la reprise, par nécessité et par choix. Le virage vers l’achat local — forcé ou choisi — des dernières semaines pourrait se refléter dans nos choix d’itinéraires de vacances. « On a commandé des produits de Charlevoix pendant le confinement ? Après, on pourrait vouloir aller à la ferme voir d’où ils viennent », illustre Pascale Marcotte.

Dans la même veine, il y a fort à parier que les road trip auront la cote cet été, prédit Paul Arsenault. « L’automobile est une bulle sécuritaire qui nous permet d’aller vers les grands espaces. »

L’effet rebond ?

Mais si, au contraire, la population en venait à voyager encore davantage, comme on se gaverait de chocolat après un régime amaigrissant trop sévère ?

C’est possible. Et ceux qui en ont les moyens mettront probablement le cap sur une hyperconsommation du voyage. Mais la crise financière fera en sorte que plusieurs n’auront plus les moyens de voyager.

Freya Higgins-Desbiolles

L’enveloppe prévue pour un voyage en Europe aura, pour bien des familles, fondu, sinon disparu, pendant les mois de confinement à plus faible revenu.

Cela, sans compter que le prix des billets d’avion pourrait monter en flèche au sortir de la crise, malgré une baisse des prix du carburant, avance Paul Arsenault. « Les protocoles sanitaires vont être revus en totalité. Pour que la confiance des consommateurs revienne, il faudra qu’on démontre que chaque fois que l’avion vient d’atterrir, il est aseptisé. L’avion passera plus de temps au sol, il sera moins rentable à opérer et le prix des billets sera à la hausse. » Que les vols vers Paris reprennent, c’est une chose. À 600 $, c’en sera une autre. 

L’industrie du tourisme mondial connaît son premier recul en 70 ans, depuis la Seconde Guerre mondiale. Même au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, on avait observé une stagnation plutôt qu’une décroissance, rappelle Paul Arsenault. « Ça ne pourra pas revenir du jour au lendemain, c’est la seule chose qui est sûre. »

Des transporteurs aériens moins polluants que d’autres 

Il n’y a pas que les prix qui varient d’un transporteur aérien à l’autre : leur bilan carbone aussi. Certains sont à privilégier si vous voulez réduire votre empreinte. Mais sachez que, dans tous les cas, les efforts déployés par l’industrie ne suffisent pas à stopper la hausse des émissions de gaz à effet de serre émis par ce secteur. 

C’est ce que conclut une vaste étude menée auprès des 58 plus grands transporteurs aériens — représentant 70 % des sièges/kilomètres offerts sur la planète —, par des chercheurs en tourisme durable de l’Université Griffith de Nouvelle-Zélande. « La bonne nouvelle : certaines compagnies aériennes font des avancées positives. La mauvaise : même les meilleures n’en font pas assez pour contrecarrer la hausse des émissions », écrit la professeure Susanne Beckem. 

Consultez l’étude de l’Université Griffith de Nouvelle-Zélande

En 2018, les 58 transporteurs étudiés ont ainsi réduit, en moyenne, de 1 % leur consommation de carburant par kilomètre par siège (l’objectif fixé était de 1,5 %), mais la hausse des vols de 5,2 % a effacé ce gain. Le bilan des GES a donc poursuivi sa croissance, notent les auteurs. Pour réduire leur empreinte carbone, des transporteurs ont notamment allégé leurs avions, révisé des plans de vol, rajeuni leur flotte ou eu recours à des biocarburants, quoique leur usage reste assez limité. Notons qu’Air Canada affiche une amélioration par kilomètre supérieure à la moyenne (2 % de réduction des GES), mais que la hausse du trafic a entraîné un bond de 6 % des émissions globales du transporteur. 

Dans les conditions actuelles, l’Organisation mondiale de l’aviation internationale (OACI) prévoit que la consommation de carburant de l’industrie sera multipliée par trois d’ici 2050, en dépit des avancées technologiques pour améliorer l’efficience des avions. D’où l’importance, selon Susanne Beckem, de voler le moins souvent possible, d’acheter des crédits carbone et de privilégier les transporteurs faisant le plus d’efforts pour réduire leur empreinte carbone.