On n’a jamais autant voyagé qu’en 2019. Mais 2020 démarre mal pour l’industrie du tourisme et de l’aviation, qui anticipe son premier recul en 10 ans. Les agents de voyages ne comptent plus les appels de clients inquiets souhaitant annuler ou reporter une réservation. La vie au temps du COVID-19 est-elle une vie sans voyages ? Pas pour le moment, disent les experts. À condition d’être bien protégé. Le point en cinq questions.

Partir ou non en voyage ?

« Ce n’est pas une question facile, car la situation bouge vite », remarque d’emblée Sapha Barkati, microbiologiste infectiologue, directrice médicale et scientifique de la Clinique Santé-voyage de la Fondation du CHUM. Cela dit, même si le coronavirus a été détecté dans une cinquantaine de pays du globe, l’OMS est loin de préconiser la fermeture des frontières. « Il ne faut pas partir en peur et arrêter de voyager, ce n’est pas ça la recommandation, assure Dre Barkati. Mais il faut se renseigner et garder à l’œil la liste des pays où le niveau d’alerte est plus élevé et bien différencier les pays où il y a de la transmission dans la communauté – comme la Chine, l’Iran, le nord de l’Italie – de ceux où les cas ont été contractés à l’étranger », dit la spécialiste. Ottawa classe le risque sanitaire sur une échelle de 1 à 4. Le gouvernement recommande ainsi d’« éviter tout voyage non essentiel » en Chine (cote 3 sur 4) et de « prendre des précautions sanitaires spéciales » en Corée et dans le nord de l’Italie. Toute décision doit aussi tenir compte de son état de santé général : la menace du virus est plus sérieuse pour les personnes âgées ou ayant un système immunitaire affaibli.

Je pars ! Comment me protéger ?

« Il faut suivre les pratiques d’hygiène de base des mains encore plus soigneusement » qu’à l’habitude, dit la Dre Barkati. « On se lave les mains régulièrement, avec un gel à l’alcool quand on n’a pas accès à de l’eau et du savon […] Personnellement, j’en traîne plusieurs flacons, pour en avoir toujours sous la main ». Il faut tâcher de rester à 1 m de toute personne présentant des symptômes d’infection, mais elle rappelle que le port de masque n’est pas utile pour une personne asymptomatique. « Il faut faire attention à ne pas porter toute notre attention sur ce virus et oublier les autres risques associés aux voyages », s’inquiète-t-elle aussi, par exemple en négligeant de se prémunir contre les maladies tropicales, la dengue, la malaria, etc. Un passage dans une clinique du voyageur s’impose en cas de doute sur les risques à destination.

Je ne pars pas ! Comment être remboursé ?

Tout dépend de la raison de l’annulation. Et surtout : tout dépend de la police d’assurance choisie. Une assurance de base remboursera généralement les dépenses liées à l’annulation ou à l’interruption d’un voyage si le gouvernement du Canada émet un avis consulaire dictant d’éviter tout voyage non essentiel (niveau 3) ou d’éviter tout voyage (niveau 4). Par contre, les voyageurs qui ont peur de partir ne seront pas remboursés s’il n’y a pas d’avis émis par les autorités. Idem si l’on change ses plans parce que l’évènement auquel on souhaitait assister – les Jeux olympiques de Tokyo, par exemple – est annulé ou reporté. « On recommande toujours de prendre une assurance voyage, mais encore plus dans les conditions actuelles », dit Joan Weir, directrice des politiques maladie et invalidité de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes. Une nouvelle formule a fait son apparition ces dernières années, baptisée l’assurance « toutes raisons » (Cancel for any reason insurance), plus coûteuse, mais aussi plus permissive. « Les gens qui souhaitent assister à des évènements devraient la considérer sérieusement », dit Joan Weir. Épidémie ou pas, le président de l’Association des agents de voyages du Québec, Moscou Côté, conseille d’opter en tout temps pour des réservations souples, avec possibilité de modifications. « Les gens sont prêts à payer 3000 $ pour un voyage en Europe, mais ils refuseront de payer 10 % de plus pour billet d’avion ou une réservation d’hôtel qui peuvent être modifiés, alors que ça leur permettrait d’économiser beaucoup en cas de problème. » Voyager sans bagage pour économiser, c’est une chose. Sans assurance ni possibilité de modifier sa réservation, c’en est une autre.

Les croisières sont-elles sécuritaires ?

« J’hésiterais à réserver une croisière dans les prochaines semaines », remarque Ross Klein, expert de l’industrie des croisières, professeur à l’Université de Terre-Neuve et du Labrador. Pas tellement pour des raisons de santé – « je ne dirais pas qu’elles ne sont pas sécuritaires puisque le risque [sanitaire] est plutôt lié à l’endroit du globe où on va – mais leur déroulement risque d’être modifié, explique-t-il. Les ports seront plus appréhensifs ». Le 26 février, un navire de croisière a ainsi été interdit d’accoster en Jamaïque alors qu’un membre d’équipage démontrait des symptômes de grippe : les touristes ont été privés d’escale et déviés vers le Mexique, même si aucune contamination au COVID-19 n’avait été confirmée (ni ne l’a été par la suite). Cela dit, oui, il est possible de désinfecter efficacement un navire de croisière. « Des protocoles efficaces ont été développés au début des années 2000 pour lutter contre le norovirus (un virus responsable de troubles gastro-intestinaux). Le problème, c’est qu’ils n’ont visiblement pas été déployés au Japon » sur le Diamond Princess, avance Ross Klein. « L’industrie aura assurément un grand travail de relations publiques à faire pour rassurer les voyageurs. »

Mais qui va payer si je suis coincé en quarantaine ?

Une assurance voyage complète couvrira certains frais liés à la quarantaine, comme les nuits d’hôtel, indique Joan Weir. « Il est important de vérifier les modalités prévues à l’achat de la police », dit Mme Weir. La perte de salaire – si les vacances d’une semaine se transforment en absence de 14 jours par exemple – sera toutefois plutôt assumée par l’assurance invalidité du travailleur, si cette disposition est prévue dans le contrat. « Dans tous les cas, il faut bien s’informer avant de partir », insiste Mme Weir.

Quels sont les impacts à prévoir pour l’industrie ?

L’industrie aérienne anticipait déjà, dans un communiqué de presse diffusé le 20 février (soit avant le signalement du premier groupe de cas de coronavirus en Lombardie), une baisse de 13 % du nombre de passagers en 2020. « Le ralentissement est important à court terme », remarque Pascale Marcotte, professeure à la Chaire de tourisme de l’Université Laval. Les répercussions à moyen et long terme sont toutefois difficiles à prévoir. « On va probablement oublier la crise, comme on a oublié assez vite le SRAS », dit-elle. Sauf si la mortalité augmente beaucoup ou si les contraintes liées aux déplacements deviennent importantes. La multiplication des cas en Italie arrive d’ailleurs à un bien mauvais moment pour les agences de voyages. « Les gens commencent en mars à réserver leurs vacances en Europe, explique Moscou Côté. On observe en ce moment un léger recul des réservations, mais cela peut encore être rattrapé, selon l’évolution de la situation dans les prochaines semaines. »

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