« C'est comme des coups de couteau » : transi dans son maillot, un touriste se plonge dans une eau à 3 °C, sous le regard interloqué d'un groupe de manchots.

Autour, des blocs de glace en forme de cocotte en papier, d'origami ou même d'amphithéâtre flottent, photogéniques, sur une mer d'huile.

Pour atteindre l'île Half Moon, en Antarctique, ce Norvégien de 58 ans a parcouru quelque 14 000 km, dépensé des milliers d'euros... et laissé une empreinte carbone de plus de 5 tonnes.

Indifférente aux bipèdes emmitouflés dans leurs coupe-vent fluo, la vie foisonne en ce printemps austral, dans un silence assourdissant. Manchots aussi maladroits sur terre qu'agiles dans l'eau, baleines à bosse lourdes, mais majestueuses, lions de mer et phoques apathiques qui se font dorer au soleil...

L'Antarctique, terre d'aventuriers et territoire sans maître, est aussi « le coeur de la terre » pour les scientifiques qui rappellent qu'en emprisonnant durablement de grandes quantités de gaz à effet de serre, il contribue à enrayer le réchauffement planétaire.

Mais comme ailleurs, et même plus qu'ailleurs, sa péninsule, cette longue langue de terre qui s'étire vers l'Amérique du Sud, se réchauffe rapidement. Ses glaciers fondent et son écosystème est envahi par les microplastiques charriés par les courants.

Les touristes affluent. Un bond de 40 % du tourisme est prévu en cette saison d'été austral, avec près de 80 000 visiteurs.

Des règles encadrent ces visites pour ne pas abîmer ce territoire vierge. « La seule chose qu'on prend, ce sont des photos ; la seule chose qu'on laisse, ce sont des empreintes de pas ; la seule chose qu'on garde, ce sont les souvenirs » : c'est le slogan des professionnels du tourisme.

Cependant, les critiques dénoncent un « tourisme de la dernière chance », cet empressement à visiter des destinations vulnérables, comme ailleurs Venise ou la Grande Barrière de Corail, tant que cela est possible.

Autre danger pour cette terre immaculée, cette suie noire, ramenée par le carbone des cheminées des navires, qui se dépose sur les surfaces glacées et accélère leur fonte.

Sur l'île Half Moon, des manchots à jugulaire, ainsi appelés à cause du trait noir qui parcourt leur menton, roulent des mécaniques en cette période d'accouplement, trompetant le bec en l'air du haut de leurs nids de cailloux.

« C'est pour signifier aux autres mâles que c'est leur espace et aussi, peut-être, que c'est leur femelle », commente une ornithologue.

Ils ont beau mettre du coeur à l'ouvrage, la colonie de 2500 palmipèdes fond comme neige au soleil. Déclin dû à l'homme ou simple déménagement ? Personne ne sait.