«Nous aussi, nous faisons du «tout-compris», non pas dans un hôtel, mais sur un territoire: le nord de la Martinique!» Patrick Duchel se montre sarcastique à l'égard de ces vacanciers qui «s'enferment» dans un tout-inclus où ils n'ont que des contacts superficiels avec la population locale. Pour lui, le voyage doit se traduire par une immersion dans une autre culture, ce que ne permet pas le confinement dans le vase clos du tout-inclus.

Patrick Duchel est l'animateur du réseau Tak-Tak, une association formée de petites entreprises actives dans le tourisme: restaurants, gîtes touristiques, écomusées, artisans, promoteurs de produits du terroir... Lui-même exploite un gîte, Les Z'amandines au Morne des Esses, une petite commune agrippée aux flancs d'une de ces montagnes arrondies qui façonnent le paysage accidenté du nord de l'île.

 

Pour arriver ici, il faut emprunter une route étroite qui s'insinue entre collines et pitons depuis Sainte-Marie, sur la côte Atlantique. Au milieu du XVIIe siècle, les Indiens caraïbes qui avaient échappé au massacre ont longé la rivière Bambou pour se réfugier dans ces replis montagneux reculés. Des esclaves «marron», ces Africains qui parvenaient à s'échapper des plantations, les ont rejoints pour fonder une communauté que Patrick Duchel qualifie de «jardin de résistance».

«Jardin» parce que, ici, la nature est luxuriante et généreuse. «Résistance» parce qu'on y a perpétué des coutumes et des savoirs de la culture des Caraïbes. C'est le cas dans cette vannerie du Morne des Esses, à l'enseigne de La paille Caraïbe. Des artisanes aux traits amérindiens y tressent la paille de cachibou et d'aroman, ces plantes qui poussent sur les flancs des mornes, pour en faire des chapeaux, des paniers, ou même des assiettes. C'est aussi le cas de Fidéline 2000, une entreprise de biopharmacie qui fabrique des produits à base de plantes, à l'aide de recettes héritées des Caraïbes et des ancêtres africains.

Développement harmonieux

Le réseau Tak-Tak a été constitué pour promouvoir le tourisme dans la partie nord de l'île, gâtée par la nature, mais boudée par les grands groupes hôteliers. C'est que tous les grands hôtels sont installés dans la partie sud de l'île: au Diamant, à Sainte-Anne et surtout aux Trois-Îlets et à l'Anse-Mitan qui fait face à Fort-de-France, de l'autre côté de la baie des Flamants. «Les gens du Sud n'ont pas participé à l'essor touristique: ils l'ont subi», ironise Patrick Duchel. «Nous, ici dans le Nord, nous préférons gérer un développement plus harmonieux.»

Ce qui signifie des petits établissements bien intégrés à l'environnement et dont les exploitants adhèrent aux principes du tourisme durable. Comme Léon Tisgra, alias Tonton Léon, qui gère un gîte à l'enseigne du Hameau du Morne des Cadets, à Fonds-Saint-Denis.

La propriété est composée de trois bungalows et de quelques chambres dans le bâtiment principal. On mange et on se détend sur la grande terrasse d'où on bénéficie d'une vue saisissante sur la montagne Pelée, juste en face, et sur la ville de Saint-Pierre, alanguie au bord de la mer des Antilles, en contrebas.

Le jour, on se balade dans les champs en compagnie de Léon Tisgra qui, passionné d'agriculture biologique, cultive des fruits et des légumes comme le giromon, la cristophine, le chou chinois ou le ti-nain (une variété de banane) sur les terres pentues qui entourent la propriété.

Exploration

Mais surtout, on se livre à cette occupation qui justifie le choix de la Martinique plutôt que d'une autre destination antillaise plus populaire comme Cuba ou la République dominicaine: on explore l'île.

Saint-Pierre, ce «petit Paris des Antilles», comme on surnommait la ville jusqu'à ce qu'une éruption de la montagne Pelée la raye temporairement de la carte en 1902, n'est qu'à une vingtaine de minutes de route. Avec 5000 habitants - six fois moins qu'à la fin du XIXe siècle -, la ville n'est plus ce qu'elle a été, mais on reconstitue des lambeaux de son histoire en visitant le petit musée Franck Perret et en arpentant ses rues étroites jalonnées de sites en ruine: le théâtre, l'église du Fort, les ruines du figuier...

À l'extérieur de la ville, le Centre de découverte des sciences de la terre consacre deux de ses quatre salles aux éruptions de la montagne Pelée. Les plages du Carbet, cette petite agglomération qui a donné son nom au massif volcanique qui lui sert de toile de fond - les pitons du Carbet -, sont juste à côté.

Et le musée de la Nature n'est qu'à quelques kilomètres. Le bâtiment principal, qui a ouvert ses portes le 31 janvier, est incrusté dans une forêt pluviale où un sentier «d'interprétation» permet de découvrir quelques-unes des 3200 espèces de plantes et d'arbres, dont près de 200 sont endémiques à la Martinique. À l'intérieur, une exposition interactive dispense des commentaires sur le relief, la flore et les écosystèmes de l'île.

Et, bien sûr, il y a la montagne Pelée, cette masse émeraude presque toujours coiffée d'un panache de brume. Elle se réveillera peut-être un jour, mais elle est assoupie depuis la dernière éruption survenue en 1932. À partir du terrain de stationnement de l'aileron, à 822 m d'altitude, un sentier de randonnée qui, mis à part l'effort physique, ne présente aucune difficulté particulière, permet d'atteindre la caldeira (le bord du cratère) 400 m plus haut, en un peu moins de trois heures d'ascension.

En reprenant la voiture pour regagner le bord de la mer, on s'engage dans des routes sinueuses bordées de cordyline et de champs de cannes, qui traversent des villages aux noms qui chantent: Morne-Rouge, Fonds-Saint-Denis, Ajoupa Bouillon...

«Nous voulons que le nord de l'île devienne une destination écologique, comme le Costa Rica, qui attire des visiteurs soucieux d'y laisser une empreinte écologique réduite à sa plus simple expression», rêve Patrick Duchel.