Qu'est-ce qu'on peut bien donner à un père qui a tout? L'énième cravate? Une nouvelle perceuse sans fil? Des accessoires de golf? À la fête des Pères, ce sont toujours les mêmes cadeaux qui refont surface. Pourquoi ne pas faire différent et offrir plutôt du temps de qualité père-fils? Notre collaborateur Simon Diotte a choisi cette option en tentant de faire revivre une tradition bien de chez nous: partir à la pêche avec son paternel.

Au Québec, la pêche s'enseigne habituellement de père en fils. Or, chez les Diotte, cette tradition n'a jamais existé. Mon père, Roch, natif de Brownsburg, dans les Laurentides, un village pourtant entouré de plans d'eau, n'a jamais attrapé un poisson de sa vie. Alors, quand je lui ai proposé une partie de pêche pour souligner la fête des Pères, je me doutais bien qu'il aurait quelques réticences.  

«On va se faire manger tout rond par les moustiques», m'a-t-il d'abord répliqué, lui qui craint les insectes piqueurs comme la grippe A. «Mais Pa, imagine le silence, la forêt à perte de vue, le chant des ouaouarons, la dégustation de truites fraîches», ai-je avancé.

 

Le paternel a finalement donné son accord, mais en émettant une série de conditions. Pas question de séjourner dans un chalet perdu en forêt. Pas question de rouler pendant des heures sur une route de gravier pour s'y rendre. Pas question de décrocher les poissons lui-même ni de dormir dans un sac de couchage. «J'ai passé cet âge-là», me dit-il fermement.

 

Bref, il en arrive lui-même à cette conclusion: nous irons dans une auberge de luxe ou je reste à la maison! Point final. À bien y penser, peut-être qu'une cravate aurait été plus simple comme cadeau de la fête des Pères!

 

Heureusement, le Québec compte de plus en plus d'établissements où l'on peut taquiner le poisson tout en menant une vie de pacha. C'est notamment le cas à l'Auberge du Lac-à-l'Eau-Claire, située à Saint-Alexis-des-Monts, notre destination.

 

Comme en banlieue

À notre arrivée sur place, mon père est enchanté. Une pourvoirie si luxueuse et moderne, en plein bois, l'épate, lui qui associe nature avec misère, bébittes et froidure. En prime, un parterre de gazon vert lui permet de se sentir chez lui, comme en banlieue. Ici, les repas et l'attirail de pêche sont fournis avec l'hébergement. Donc, la seule chose à se soucier, c'est de trouver où se cache la truite.

 

Mon objectif durant cette escapade de 24 heures: faire revivre la tradition, mais en sens inverse. C'est moi, le pêcheur comptant cinq années d'expérience, qui donnerai une leçon de pêche à son père. Mon souhait le plus cher: que le paternel capture, à 73 ans, le premier poisson de sa vie!

 

Sur place, neuf lacs nous invitent à l'aventure, dont le lac à l'Eau-Claire, un plan d'eau spectaculaire d'une superficie de 42 km carrés atteignant une profondeur de 100 mètres. Mais les guides, voyant notre «énorme» bagage d'expérience, nous mettent en garde: pas facile de dénicher la truite grise qui s'y cache.

 

On casse donc la glace sur le lac Rouge, à un kilomètre de l'auberge. Un lac sauvage, sans chalet, où seuls les moteurs électriques sont permis. Mon père, bon élève, écoute mes directives sur l'art de manipuler la canne à pêche.

 

«Moi qui pensais que comme pêcheur, on n'avait absolument rien à faire», s'étonne-t-il. Eh non, papa, les poissons ne sautent pas tout seuls dans les chaloupes...

 

Soudain, mon père formule une nouvelle exigence. Il ne veut pas accrocher les vers sur son hameçon! Ce n'est pas par dégoût, mais par peur de se piquer. «Mon problème de coagulation sanguine peut rendre la moindre cicatrice problématique», me confie-t-il. J'avoue que cette excuse savante, je ne l'avais jamais entendue! Les parents n'ont jamais fini de nous surprendre.

 

Ça picosse!

Le temps est parfait: pas le moindre vent, pas de moustiques et un beau soleil nous dore la couenne. Il ne reste plus qu'à attendre les truites. Ça tombe bien, le lac en déborde. On les voit régulièrement bondir de l'eau pour avaler une mouche. Chose certaine, elles ont faim. Voudront-elles de nos appâts?

 

Et puis ça mord. Mon père, surpris chaque fois, tarde à ferrer les poissons. Résultat: les vers disparaissent des hameçons, mais les truites demeurent dans le fond. Bilan de notre première sortie: bien des émotions, mais aucun poisson pour le paternel.

 

Après cette initiation, mon père semble déjà avoir la piqûre. Le lendemain matin, il rejette l'idée d'une grasse matinée. Son objectif: atteindre son quota de 15 truites avant notre départ, fixé à midi! Sauf que cette journée-là, le temps est exécrable. Le vent fait louvoyer la chaloupe en tout sens, la pluie tombe dru, le froid perce nos doublures et les truites pensent la même chose que nous. Ce n'est pas un temps pour jouer dehors!

 

Sauf qu'un miracle se produit. Un poisson s'accroche au fil de la canne de papa. Tout fier, il mouline frénétiquement, mais une fois dans l'épuisette, je constate que ce n'est pas une truite, mais un achigan! Il faut le remettre à l'eau, car la pêche à cette espèce n'est pas encore ouverte.

 

«Maudit, grogne mon père. Si tu ne me l'avais pas dit, j'étais sûr d'avoir attrapé une truite!» Ce fut le seul poisson prêt à se sacrifier pour la fête des Pères (à la défense de nos amis aquatiques, nous étions un peu d'avance...)!

 

Qu'importe le résultat, cette initiation à la pêche était avant tout un prétexte pour passer deux jours ensemble, à discuter longuement, à bord de la chaloupe ou en dégustant un succulent repas à la bonne table de l'auberge.

 

Après cette excursion, j'en connais bien plus sur le passé de ma famille! Et mon père sait désormais comment pêcher à la traîne et au lancer léger. Ce n'est pas rien!

 

À notre départ, les guides de l'Auberge du Lac-à-l'Eau-Claire nous ont offert plusieurs truites. L'honneur est sauf, car papa ne rentera pas bredouille à la maison. Avant de le quitter, je lui fait deux propositions. La première: est-ce qu'il accepterait de refaire un autre voyage de pêche? Certainement, me dit-il. La deuxième: puisqu'il n'a pas attrapé de truites, est-ce qu'il voudrait une nouvelle cravate pour le 21 juin?

 

L'hébergement a été payé par l'Auberge du Lac-à-l'Eau-Claire.